Journal d’un disparu et L’Amour sorcier : un duo conceptuel et raté à l’Opéra du Rhin

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Rapprocher le Journal d’un disparu de Janacek et L’Amour sorcier de Falla est une excellente idée. Les deux œuvres sont quasiment contemporaines (1921 et 1915), toutes deux font appel au folklore de leurs pays à l’époque de l’éveil des nationalismes et les deux ouvrages racontent une histoire d’amour passionnelle. Incontestablement, l’Opéra national du Rhin proposait un séduisant spectacle en ouverture de son festival Arsmondo dédié cette année à la culture tzigane.

La réalisation de cet intrigant combo a été confiée à l’américain Daniel Fish pour la mise en scène et Manuel Liñán pour la chorégraphie. Le premier s’est distingué pour ses spectacles liés au nouveau courant minimaliste (Ted Hearne, Michael Gordon) et le second est l’un des représentants du flamenco moderne. Autre nouveauté à l’affiche : l’orchestration demandée au jeune compositeur Arthur Lavandier pour le Journal d’un disparu, imaginé à l’origine par Janacek pour piano seul.


Journal d’un disparu / L’Amour sorcier, Opéra national du Rhin 2022

Le décor s’ouvre sur une scène orange d’un côté, magenta de l’autre. Les chanteurs et les danseurs sont assis sur des chaises en arc-de-cercle, et très rapidement le statisme s’installe. Tous masculins, les danseurs (Miguel Heredia, Manuel Liñán, Hugo Lopez, Jonatan Miro, Daniel Ramos, Adrian Santana, Yoel Vargas) animent brusquement la scène, sans qu’on en comprenne réellement la raison. Il y a un sentiment de disjonction entre la scène et la fosse (nous y reviendrons), auquel s’ajoutent des vidéos animalières de Joshua Higgason. Après tout, pourquoi pas, nous sommes dans une relecture moderne qui permet d’écouter le bon Janik de Magnus Vigilius et l’excellente Zefka de Josy Santos. Mais rapidement, le Journal d’un disparu se transforme essentiellement en séance d’habillage / déshabillage de robes entre deux chorégraphies (après tout encore, pourquoi ne pas ajouter une dimension queer à l’histoire racontée par Janacek) et l’écoute du chant relève de l’accessoire. On redirige alors ses oreilles vers l’orchestration réalisée par Lavandier, qui hésite entre plusieurs styles. Reprenant certains traits typiques du compositeur tchèque, l’instrumentation est cependant moins “verte” et tranchante que son modèle, rappelant tantôt le néo-classicisme de l’entre-deux guerres ou la comédie musicale. Lavandier possède toutefois un atout, qui manque cruellement à la mise en scène : l’humour. Après une vidéo qui montre la mise à mort d’un coq, on quitte ce Journal d’un disparu perplexe et circonspect.


Journal d’un disparu / L’Amour sorcier, Opéra national du Rhin 2022

S’enchaînant directement, L’Amour sorcier s’annonce sous de meilleurs auspices. On distingue immédiatement la qualité de l’Orchestre symphonique de Mulhouse et surtout la fine direction de Łukasz Borowicz qui veille amoureusement à l’élan rythmique de la soirée. Remplaçant au pied levé Rocío Márquez souffrante, la cantaora Esperanza Fernández apporte tout l’idiomatisme nécessaire à la partition de De Falla. Les chorégraphies s’enchaînent ici dans le plus pur esprit flamenco (les chaussettes sont ici remplacées par des bottines claquantes) jusqu’à ce qu’on comprenne que… Daniel Fish réalise deux fois la même mise en scène ! Mêmes chorégraphies, mêmes déplacements sur scène, mêmes vidéos, l’idée ne manque pas de panache d’autant que les deux ouvrages durent environ une demi-heure chacun. Outre le fait que cette mise en scène semble fonctionner beaucoup mieux pour De Falla que pour Janacek (où elle apparaît plaquée), que cherche donc à nous dire le spectacle ? La puissance de l’amour qu’il soit en Tchéquie ou en Andalousie ? La naissance de l’individu au début du vingtième siècle ? La malléabilité des genres ou la puissance des mythes ? Que tout est dans tout, rien n’est dans rien et que tout se vaut ? Dans les notes de programme, le metteur en scène prétend laisser le “spectateur libre de son interprétation”. Devant la pauvreté de la proposition initiale, répéter deux fois le même spectacle relève ici de la paresse et de la superficialité. Le spectateur regarde un concept auquel il manque de la joie et tout simplement de la vie.

Laurent Vilarem
Strasbourg, 15 mars 2022

Journal d’un disparu / L’Amour sorcier à l'Opéra National du Rhin, jusqu'au 3 avril 2022

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