Lawrence Brownlee et Michael Spyres électrisent le Théâtre des Champs-Élysées

Xl_dscf2886 © Thibault Vicq

Chez Rossini, les ténors se battent en mode majeur à coups de contre-ut, comme dans le duo « Ah vieni, nel tuo sangue vendicherò le offese », tiré d’Otello. Lawrence Brownlee et Michael Spyres s’en donnaient à cœur joie dans leur album « Amici e Rivali », édité chez Erato fin 2020. Ils ont remis le couvert dimanche soir au Théâtre des Champs-Élysées, dans un programme croisé (Les Grandes Voix) qui valait plutôt le détour, malgré une terne et lourde direction de l’orchestre d’Opera Fuoco par David Stern.

Mais avant qu’Iago et Otello ne se fassent face, Lawrence Brownlee a déjà eu le temps d’exposer son legato diapré dans un air de Mitridate de Mozart, qui par la pureté combinée de tous les segments, pareils à des angles de vues affûtés, sculpte une riche perspective du personnage éponyme. Michael Spyres commence pour sa part par un extrait de Siroe de Latilla, dont les montagnes russes d’intervalles ne conviennent pas forcément le mieux à sa mise en jambe. C’est dans Ricciardo e Zoraide de Rossini que le tandem prend forme. Le brun a la rationalité juvénile, le blond a la liberté et la fluidité. Ciel et terre entremêlés, les deux voix se complètent en un bloc souple et uni, prêt à affronter les facéties du programme. Dans leur duo d’Elisabetta, regina d’Inghilterra, le premier avance, toutes voiles dehors, de sa clarté syllabique, et le second dessine un territoire enrobé autour de leurs deux timbres. Ils se sont bien trouvés. Et lorsque survient Otello, dessiné à un délire du public juste avant l’entracte, la rage et la fureur en projection de l’un répondent à l’effusion interne de l’autre. Repris en troisième bis, il fait entendre un superbe contre- à rallonge chez Lawrence Brownlee, qui reçoit comme réponse de son comparse un do, trois octaves en-dessous !

Les trois autres duos du concert sont là moins pour impressionner les spectateurs que pour faire de la musique conviviale. S’ils manquent quelque peu de coordination sur les départs dans Les Pêcheurs de perles, (« Au fond du temple saint »), les textures des sixtes et des tierces figurent de délicieuses arabesques, que la complicité transmet également sur « O sole mio » et « Marechiare ». Lawrence Brownlee livre son plus bel air de la soirée en solo avec « Asile héréditaire… Amis, secondez ma vengeance » (Guillaume Tell), où la diction française exemplaire, l’horizon luxuriant et le pouls organique de la ligne l’aident à construire une phrase éloquente. Michael Spyres livre un câlin d’élégance chez Leoncavallo, et se porte sur la fierté et la sensibilité entières dans Le Trouvère ; on lui reconnaît toujours l’art du discours et de l’intention menée coûte que coûte.

Pour l’orchestre d’Opera Fuoco, la soirée commence mal puisque les instrumentistes ne parviennent pas à se mettre d’accord entre eux sur le tempo du chef dans l’ouverture de La Clémence de Titus. Les respirations trop larges dans les archets empêchent le son de se consolider, et David Stern peine à sortir d’un cadre purement scolaire. Les équilibres laissent à désirer dans l’ouverture de L’Italienne à Alger, aussi tachée d’un manque criant d’ambition dans les transitions, car la baguette passe d’un motif à l’autre en oubliant ce qui a précédé. N’oublions pas les percussions tonitruantes, les violons disgracieux, les cors au petit bonheur la chance et le hautbois contraint, qu’on arrive à saisir entre quelques incompréhensibles enclumes de tutti. Avec les chanteurs à leurs côtés, on peut même voir des lèvres bouger sans entendre les notes qui en sortent… L’énergie redouble et la rigueur déraille au fur et à mesure.

« La donna è mobile » et « Ah ! Mes amis, quel jour de fête ! » ouvrent les festivités des bis à deux gosiers. Fidèles à eux-mêmes, les deux ténors dégainent leur arme artistique pour satisfaire un public venu pour ce duel bien millimétré achevé dans Otello.

Thibault Vicq
(Paris, 22 janvier 2023)

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