Karina Gauvin, Alcina souveraine à l’Opéra Royal de Versailles

Xl_alcina_1 © Marek Olbrzymek

Versailles accueillait le sommet des chefs d’État et de Gouvernement des États membres de l’Union européenne ces 10 et 11 mars. Accès limité (voire interdit) aux abords du château, première d’Alcina décalée et changement d’horaire : il fallait s’armer (d’encore plus) de courage (que d’habitude) pour arriver jusqu’à l’Opéra Royal en voiture ou en transports en commun – on ne parle même pas du retour ! –, mais il aurait été terrassant de manquer Karina Gauvin dans le rôle-titre ! Si on la connaissait plus qu’habile dans le style de Haendel – Saül au Théâtre du Châtelet il y a deux ans –, l’opéra de 1735 lui inspire une interprétation bouleversante. Son Alcina prend la forme d’une chrysalide du silence et du murmure, qui se morfond pour renaître plus forte dans l’enfermement de son palais. Elle réaffirme son statut de reine par des respirations gorgées de sous-entendus pour contrer les oppositions à ses charmes, aborde chaque note comme un cocon vengeur en quête de spores ensorcelées. Ce souffle, cette énergie, elle les capte dans le dessin des fantômes qu’elle a générés, mais ne les impose jamais en force dans la voix, tandis que les pyrotechnies vocales la font voguer, magistrale, sur une luge malicieuse de phrasé.

Dans la production de Jiří Heřman créée à Brno cet hiver, Alcina compense comme elle le peut sa solitude dans sa maison en bord de mer. Les miroirs révèlent les personnes à elles-mêmes, les animaux – les humains transformés par la sorcière – participent à la mêlée (dont un manchot hilarant), et les illusions magiques transforment des dunes de sable en salons du château de Versailles. Le mouvement scénographique simultané des pièces de l’habitation et des toiles de décor ravit la rétine, tout comme les éclairages aquatiques de Daniel Tesař. Le metteur en scène pense aux déplacements de groupe comme aux regards précis des triangles amoureux, mais brûle sans doute trop de cartouches dans la somptueuse première partie, le II semblant à court d’idées. Le dernier acte prend heureusement un versant plus dynamique et bienvenu, toujours imagé et poétique, avec de très bons danseurs et le drolatique comédien Ladislav Mikeš.

Les chanteurs sont donc appelés à faire part d’expressivité sur le plan scénique, même si tous ne s’octroient pas forcément ce droit. Krystian Adam campe un Oronte poseur et assuré, d’abord en couloirs aérés de chant jovial au legato d’or, quoique dilués ensuite dans des accents trop présents. Le contre-ténor Kangmin Justin Kim fait lui aussi mouche dans l’acte I, champion de longueur dans un sillon onctueux ôtant la moindre rugosité que les changements de note pourraient susciter. Hélas, ces promesses ne sont pas tenues en intégralité par la suite, car la hâte ou le stress ne lui permet pas toujours de bien tenir le gouvernail de ses lignes et l’homogénéité de ses registres. On ne tiendra pas forcément rigueur à Monika Jägerová – remplaçante de dernière minute de Václava Krejčí Housková en Bradamante – de ses petits retards rythmiques, car la matière sonore alerte et spongieuse dessine de belles circonvolutions. Mirella Hagen combine adroitement les chants d’oiseaux dans sa lecture de Morgana, au risque de parfois laisser émerger un timbre citrique et des notes peu précises. L’Oberto d’Andrea Široká est un puits de lumière iodée, et le Melisso de Tomáš Král est un lierre vocal entreprenant à l’inconfort intermittent.

C’est à travers la fosse que la musique de Haendel trouve son aboutissement ultime et que le monde magique d’Alcina se prolonge. Václav Luks dirige un Collegium 1704 cotonneux et nacré, encore plus impliqué dans l’action qu’un chœur antique (sans pour autant enlever au grand mérite des chanteurs du Collegium Vocale 1704, sous une bonne étoile). Le chef cueille les accords et fait claquer le fleuret des rivalités entre amants. Les éclairs ont la texture de barbe à papa, le roulis de la mer est un massage auditif. Les sortilèges de la reine Karina Gauvin sur ses sujets opèrent encore.

Thibault Vicq
(Versailles, 11 mars 2022)

Alcina, de Georg Friedrich Haendel :
- à l’Opéra Royal du Château de Versailles jusqu’au 13 mars 2022
- au théâtre de Caen les 5 et 6 mai 2022

Crédit photo © Marek Olbrzymek

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