Un sombre Ange de feu de Prokofiev au 70e Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence

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Entre hystérie et possession diabolique, le livret de L’Ange de feu de Sergueï Prokofiev (qui a signé le livret, à partir du roman éponyme de Valery Brioussov) nous transporte dans une Allemagne du XVIe siècle, grouillante de silhouettes sulfureuses, sur fond de spiritisme, d’alchimie et d’inquisition. On s’attend donc toujours, avec cet ouvrage, à un spectacle chargé de connotations sataniques, voire sexuelles, outrances auxquelles la musique du compositeur russe, d’une énergie rythmique terrible, semble de surcroit inviter.

C’est avec ce chef d’œuvre du XXe siècle que s’est poursuivie, après une nouvelle production d'Ariadne auf Naxos, la 70e édition du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence (la dernière de Bernard Foccroulle qui laisse les rênes à Pierre Audi pour les suivantes…), dans une mise en scène signée par Mariusz Trelinski, étrennée il y a deux mois au fameux Théâtre Wielki de Varsovie, que l’homme de théâtre polonais dirige par ailleurs. Point de moyen-âge teutonique ici, mais une transposition dans les Etats-Unis de notre temps, ceux des films de David Lynch en l’occurrence, une époque et un lieu où selon la note d’intention de Trelinski « garder un équilibre psychique est si difficile que prendre des antidépresseurs semble quelque chose de normal et de presque inévitable ». Le ton est donné, et à l’intérieur d’une imposante scénographie compartimentée (due à Boris Kudlicka) se succèdent sous nos yeux des délires successifs qui déstructurent peu à peu l’espace jusqu’au chaos total.

Après avoir incarné le rôle de Renata à l’Opéra de Lyon il y a deux saisons, avec l’incandescence qui la caractérise, la soprano lituanienne Ausrine Stundyte nous éblouit une nouvelle fois : sa voix d’un superbe métal, ample et richement timbrée, et son investissement constant dans le personnage, qui passe de l’hystérie au plus pur lyrisme, tiennent la salle fascinée jusqu’au triomphe mérité du baisser de rideau. En Ruprecht, le baryton américain Scott Hendricks n’a pas toujours le mordant souhaité, mais son personnage de voyageur de commerce minable, de même que son caractère plus réfléchi et posé face à des événements déconcertants, assurent un heureux contraste avec le tempérament volcanique de son mauvais ange. Autour des deux figures écrasantes de la partition, l’on distinguera plus particulièrement l’impressionnante Sorcière d’Agnieszka Rehlis, avec ses graves abyssaux, le puissant Agrippa d’Andreï Popov et le Méphistophélès inquiétant – tout de blanc vêtu et lunettes opaques – de Krysztof Baczyk,

Après avoir déjà dirigé l’œuvre à La Monnaie de Bruxelles, ainsi qu’à Lyon dans la production précitée, le chef japonais Kazushi Ono a parfaitement saisi le rationalisme implacable d’un compositeur qui refuse les choix catégoriques et recherche la fusion des contraires. L’Orchestre de Paris - et les magnifiques Chœurs du Théâtre Wielki - le suivent au millimètre près dans cette alliance admirable, d’aspérité expressionniste et de sensibilité romantique, de préciosité décadentiste et de rigueur géométrique, filtrée par une ironie corrosive.

De la belle ouvrage qui pourra être entendue (en direct) par nos lecteurs sur France Musique le vendredi 13 juillet !

Emmanuel Andrieu

L’Ange de feu de Sergueï Prokofiev au 70e Festival d’Aix-en-Provence, jusqu’au 15 juillet 2018

Crédit photographique © Teatr Wielki
 

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