Sublime Sabine Devieilhe dans Lakmé à l'Opéra Grand Avignon

Xl_lakme © Cédric Delestrade

Nous avions déjà chroniqué cette production de Lakmé à l'Opéra de Toulon la saison passée. Le travail de la metteure en scène suisse Lilo Baur se signale par son bon goût, en particulier grâce aux beaux éclairages de Gilles Gentner, aux superbes décors de Caroline Ginet et aux jolis costumes de Hanna Sjödin. Il est aussi marqué du sceau de la rigueur, et possède une réelle efficacité dramatique.

On retrouve également Sabine Devieilhe, sans égale dans ce rôle aujourd'hui, reprenant ainsi le flambeau de ses illustres devancières, de Mado Robin à Natalie Dessay. Son chant apparaît aussi accompli dans la nuance piano que dans le forte, ce en quoi elle se distingue de toutes les Lakmé que nous avons pu entendre jusqu'à ce jour. Comment ne pas succomber aussi à la morbidezza de sa ligne de chant, de même qu'à son parfait contrôle du souffle, sans parler de ses aigus hyperboliques, qui ont soulevé un indescriptible enthousiasme parmi l'auditoire à l'issue du fameux « air des clochettes ». Enfin, c'est avec un naturel confondant - et un métier déjà solide - que le plus grand espoir parmi les jeunes sopranos françaises (avec Julie Fuchs... que l'on retrouvera sur ces mêmes planches le mois prochain dans le rôle-titre de Lucia di Lammermoor) évolue sur scène, restituant à son personnage toute sa fraîcheur et sa complexité.

On tombe malheureusement d'un cran, voire de deux, avec le Gérald hors-propos de Florian Laconi. Si le ténor messin tente d'alléger ses conséquents moyens dans l'acte I, il ne connaît plus que la nuance forte par la suite. Pour les amateurs de voix mixte, d'émission élégiaque, d'aigus délivrés en voix de tête, et de sensibilité à fleur de peau – aspects essentiels auxquels le personnage a droit –, il faudra repasser. Laconi finit même par chanter son Gérald, dans les deux derniers actes, comme s'il s'agissait de Canio ou de Radamès, et c'est donc un peu la carpe et le lapin que finit par former le couple de héros... d'autant que l'acteur est aussi inexpressif que sa partenaire se montre d'une crédibilité scénique totale. Bref, on ne lui pardonne pas d'avoir déséquilibré à ce point un spectacle frôlant par ailleurs la perfection.

Triomphe, en revanche, pour Nicolas Cavallier : on ne peut que rendre les armes devant son art du bien dire, allié à une épaisseur et une autorité dans le timbre – ainsi qu'une puissance dans la projection – qui donnent toute sa mesure au personnage de Nilakantha. De son côté, la mezzo québécoise Julie Boulianne incarne une touchante Mallika, qui respecte toutes les règles du style français, cet art de la finesse et de la délicatesse, qualités que l'on retrouve chez tous les comprimari. Christophe Gay est ainsi parfaitement à sa place en Frédéric, à l'instar de Loïc Félix en Hadji, Julie Pasturaud en Mistress Bentson, Ludivine Gombert en Miss Ellen ou encore Chloé Briot en Miss Rose.

Côté baguette, Laurent Campellone confirme une fois de plus ses affinités avec le répertoire français du XIXe siècle – en digne épigone du grand Michel Plasson –, et sa lecture de l'ouvrage s'avère d'une sensualité et d'un lyrisme auxquels il est impossible de résister. Il parvient d'autant plus facilement à restituer toutes les splendeurs et les finesses de la partition de Léo Delibes, que l'Orchestre Régional Avignon Provence et les Chœurs de l'Opéra Grand Avignon donnent ici le meilleur d'eux-mêmes.

Hors Florian Laconi (par ailleurs excellent dans les rôles qui conviennent à sa typologie vocale, comme Don José ou Hoffmann), on ne peut que s'incliner devant cette distribution entièrement francophone, qui fait honneur à la culture vocale française, au point de retrouver en cette matinée printanière un art que l'on croyait presque perdu.

Emmanuel Andrieu

Lakmé de Leo Delibes à l'Opéra Grand Avignon, les 20 et 22 mars 2016

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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