Jakub Józef Orliński au festival de Menton : « Please, enjoy ! »

Xl_jakub-jozef-orlinski_festival-de-menton-2023 © Ch. Merle

Dans ces périodes particulièrement troublées et difficiles, notamment pour la culture, chaque festival maintenu a un goût de victoire plus délicieux encore que les années précédentes. Après des fins de saisons annulées, ou des annonces de saison réduite, on se réjouit notablement de voir des institutions perdurer, comme c’est le cas du fabuleux Festival de Musique de Menton qui célèbre cette année sa 74e édition.

Débuté le 25 juillet dernier, le festival continue d’offrir une programmation superbe dans laquelle le lyrique est toujours invité et superbement représenté, même pour une soirée. Le cadre unique au monde du parvis de la basilique Saint-Michel Archange n’en finit pas d’émerveiller le public – dont nous faisons partie – d’année en année, avec cette vue imprenable sur la mer infinie en guise de quatrième mur, tandis que l’entrée de la basilique et ses statues veillent de toute leur hauteur sur la scène, les artistes et l’assemblée. On ne peut que se réjouir que la ville et le directeur du festival, le chef Paul-Emmanuel Thomas, réussissent à maintenir non seulement ce rendez-vous désormais incontournable, mais aussi le niveau d’excellence qui lui est désormais associé.

Mardi soir, le parvis était rempli pour le récital du contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński, accompagné de l’ensemble Il Pomo d’Oro pour un programme « Facce d’amore », du même nom que le deuxième disque de l’artiste dont nous rendions compte lors de sa sortie en 2019. De même que pour le disque, c’est par « Erme e solinghe cime » de La Calisto de Cavalli que débute le programme, dans une belle profondeur de timbre, avant d’enchaîner dans un même élan avec « Chi scherza con Amor », extrait d’Eliogabalo de Boretti, dans lequel le contre-ténor joue de son air malicieux. Il prend ensuite le temps d’adresser quelques mots au public, d’abord en français, puis en anglais. Il rappelle ainsi que c’est la première fois qu’il vient à ce festival « quite legendary », et ne peut pas s’empêcher de parler de l’endroit et de la vue avant de nous inviter à profiter de cette soirée : « please, enjoy ! ». Il reprendra la parole dans la soirée afin de parler du programme ou encore de sa relation avec Il Pomo d’Oro avec qui il a collaboré pour divers projets, dont le disque qui inspire le programme.

La beauté et l’harmonie de « Crudo amor non hai pieta » (extrait de Claudio Cesare, de Boretti) résonnera ensuite, offrant un moment de grâce, avant que les airs ne s’enchaînent jusqu’à l’entracte, qui arrive assez rapidement. Bien que rapide, cette première partie nous a laissé le temps d’apprécier une belle énergie revigorante pour « Odio, vendetta, amor » (Don Quisciotte, de Conti), ainsi que le violon léger, aérien, omniprésent et omnipotent de Zefira Valova qui transporte lors d'extraits instrumentaux.

Toujours vêtu de son costume vert aux légères zébrures rouges créé spécialement pour ce disque et ce programme, Jakub Józef Orliński revient pour une seconde partie plus conséquente dans la durée, pour notre plus grand plaisir. Le Concerto de Locatelli est un interlude véritablement délicieux au cours de cette soirée, tout comme l’ensemble des interventions d’Il Pomo d’Oro, sans chef mais admirablement dirigé par son premier violon, Zefira Valova. La connivence avec l’artiste est une évidence, entre sourires et regards échangés, mais aussi par l’appui musical infaillible que les sept musiciens présents offrent. Ils donnent au contre-ténor un sol solide sur lequel s’appuyer, mais aussi la légèreté nécessaire pour ces envols. La musique porte et ne fait qu’une avec la voix, tandis que l’ensemble des musiciens apporte cohérence et cohésion à l’ensemble de la soirée, ainsi qu’une bonne humeur contagieuse et commune avec le contre-ténor.

Ce dernier demeure toujours aussi lumineux, avec une présence joyeuse. Il touche par sa joie communicative avant même de chanter, mais le chant est bien sûr lui aussi au rendez-vous. Si l’on le connait pour ses aigus angéliques, la soirée nous laisse entendre de beaux graves, particulièrement plaisants et solides. A la lumière cristalline des aigus répond le miroitement ambré des graves. Il joue avec les vocalises et son amplitude à plusieurs reprises, comme par exemple dans « Finche salvo e l’amor suo » (Scipione i Giovane, de Predieri). Jusqu’à la fin, il donne l’impression d’un jeu d’enfant en toute légèreté et non sans talent, faisant filer le temps à vive allure. Le public lui réserve de chaleureux applaudissements, qui lui permettent d’obtenir trois bis, en commençant par le sublime « Alla gente a Dio diletta » de Nicola Fago, extrait de son premier disque, Anima Sacra. Le temps d’un instant, nous sommes portés en apesanteur avec cet air qui, dans cet endroit si particulier entre mer, ciel, terre et lieu sacré, déploie la magie d’un instant coupé du monde et du Temps. Puis vient « Agitato da fiere tempeste » de Haendel, ramenant une déferlante énergisante. Le public en réclame néanmoins encore, et après concertation, les artistes sur scène offrent un ultime bis avec la reprise de l’air « Chi scherza con Amor » entendu plus tôt dans la soirée.

On ressort conquis par le talent, mais aussi par la bonne humeur ainsi que l’atmosphère de cette soirée. Jakub Józef Orliński semble s’amuser avec la légèreté d’un enfant, ce qui est revigorant et contagieux. Il émane de lui une joie simple qu’il partage avec les musiciens et le public. De plus, le plaisir des yeux avec la vue depuis les hauteurs de la ville répond au plaisir de l’écoute avec cet artiste et ces musiciens toujours aussi talentueux. Si l’on y ajoute l’odeur lointaine de la mer, et le goût pour la musique qui nous a conduit ici, alors on touche du doigt une soirée quasi synesthésique où l’on verrait la musique se refléter dans l’effluve marine. Une nouvelle réussite pour le festival de Menton, qui rappelle la nécessité du maintien de ces rendez-vous estivaux et du bonheur qu’ils procurent.

Elodie Martinez
(Menton, le 1er août 2023)

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