Chronique d'album : "Anima Aeterna", de Jakub Józef Orliński

Xl_anima_aeterna_orlinski © DR

En 2018, Jakub Józef Orliński sortait son premier disque chez Erato, Anima Sacra, avant de poursuivre l’année suivante par un deuxième opus, Facce d’amore. En ce mois d’octobre 2021, le contre-ténor propose un nouvel enregistrement (toujours chez Erato), intitulé cette fois-ci Anima Aeterna et consacré aux airs sacrés et motets du XVIIIe siècle, s’inscrivant ainsi dans le prolongement de son premier disque qui nous avant particulièrement conquis. Le registre est en effet idéal pour le chanteur et sa voix souvent qualifiée d’angélique, d'autant plus qu'il retrouve à ses côté l’ensemble Il Pomo d’Oro sous la direction cette fois-ci de Francesco Corti.

Le lien avec Anima Sacra est explicite, non seulement par le titre, mais aussi dès le texte introduction du livret signé par le contre-ténor : « Vous tenez maintenant un nouvel album, Anima Aeterna, conçu comme une continuation de Anima Sacra (…). Il ouvre une sorte de dialogue entre les deux programmes ». Une fois encore, ce qui est mis en avant dans cet enregistrement, ce n’est pas « le côté religieux de ces compositions, mais plutôt (…) les émotions qu’elles contiennent », « la variété des instruments et des voix que ces pièces mettent en valeur ». Pour Yannis François, qui collabore avec Jakub Józef Orliński pour le programme de ses disques, ce troisième album est davantage un « voyage parallèle » plutôt qu’une suite car la période musicale est sensiblement la même, les pièces présentes ici s’étalent de 1716 à 1747, tandis que cette d’Anima Sacra couraient de 1709 à 1750. On l’aura donc compris : l’écho est fort, mais les disques sont complémentaires et ont chacun leur propre identité.

L’écoute s’ouvre sur des motets de Jan Dismas Zelenka, doublement présent ici. Tout d’abord avec Barbara, dira, effera, puis plus loin avec son Laetatus sum avec la soprano Fatma Said. La pièce est exigeante pour l’un et l’autre, entre vocalises, trilles imitant le rire de joie, contre-ré et souffle impressionnant allant jusqu’à neuf mesures. Pourtant, les difficultés sont dépassées avec une impression d’aisance déconcertante tandis que les deux voix s’allient, se délient et se délectent dans une atmosphère de béatitude pétillante. La soprano offre des reflets boisés alliés au soleil de la voix du contre-ténor, au point que la complémentarité est particulièrement appréciable dans ces duos. Dans « Illuc enim », la ligne de chant de Fatma Said s’envole en sautillant pour rejoindre celle de Jakub Józef Orliński dans « Rogante » dans une alliance ayant quelque chose de sensuelle et spirituelle.

Entre les deux motets de Zelenka se trouve l’air « Non t’amo per il ciel » extrait d’Il Fronte della salute de Johann Joseph Fux, bouleversant. La sensibilité aérienne touche et enveloppe l’auditeur, tant par la voix et les nuances soyeuses du contre-ténor, que par le talent d’Il Pomo d’Oro et de Francesco Corti. La technique laisse place ici à une forme de douceur divine, chaque note apportant sa contribution, chaque pincement se faisant tant à la corde qu’au cœur, chaque coup d’archet montant de l’âme aux cieux.

La Giuditta de Francisco António de Almeida se fait elle aussi entendre, avant « Un giusto furore che m’ard ne core » (Il David trionfante, de Bartolomeo Nucci) enregistré en première mondiale. Ce dernier air apporte une touche opératique au disque, avec une partition musicale vivante dans laquelle la trompette est particulièrement présente et devient un autre compagnon de jeu pour Jakub Józef Orliński. Autre première mondiale, le Laudate pueri de Gennaro Manna qui nous ramène aux couleurs du reste de l’enregistrement, plus spirituelles. Le chœur se joint au contre-ténor pour cette célébration joyeuse dont les mouvements s’enchaînent. L'enregistrement se clôt sur un « Alleluja, Amen » comme se terminerait n’importe quelle prière ou interpellation à l’ordre divin. Ce chant ultime est signé de Haendel (Antiphon) et suspend l’oreille dans un souffle calme, reposant et lumineux, bercé à la seule aide de l’orgue, qui teinte d’une couleur nouvelle la voix du contre-ténor.

Il Pomo d’Oro est une nouvelle fois un formidable appui pour Jakub Józef Orliński, et malgré le changement de chef par rapport aux deux disques précédents, l’alchimie demeure toujours aussi puissante et explose dans une force créatrice qui donne naissance à ce troisième disque parfaitement équilibré. Boisé, cuivré, puissant, doux, fort ou fragile, l’ensemble se teinte aux multiples nuances d’un arc-en-ciel dans lequel le chanteur n’a plus qu’à plonger son pinceau pour peindre une nouvelle toile lumineuse. On quitte l'écoute avec un sentiment de plénitude, et c’est bien une fois encore l’animal’âme de l'artiste, qui s’adresse à la nôtre pour une parenthèse éternelle, le temps d’une écoute atemporelle.

Elodie Martinez

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading