Un convenable Enlèvement au sérail à Clermont Auvergne Opéra

Xl__w4a6035_v © Yann Cabello

Avec L'Enlèvement au sérail, on peut vite arriver à la peinture sordide ou embarrassante, malgré la dimension comique du Singspiel de Mozart. La nouvelle coproduction de Clermont Auvergne Opéra et de l’Opéra de Reims, par Laurent Serrano, préfère contourner prudemment le côté orientalisant (et les stéréotypes associés) en retenant du livret la passion du pacha Selim pour la jardinerie. Le décor unique (bien conçu) d’Amélie Kiritzé-Topor, ne figure que l’extérieur du palais, avec trois serres, un canapé, un simple rideau d’entrée vers le sérail, et en fond de scène, des clôtures en bois marquant la fin de la propriété. Si le plein air occulte l’enfermement ressenti par les femmes du sérail, et la nature de ce qui se passe chez Selim, il permet toutefois de visualiser les signes avant-coureurs de l’évasion prévue par Belmonte. On a beau accepter volontiers certaines conventions de théâtre, cette « pudeur » de représentation n’est pas exempte d’incohérences. Belmonte entre et sort de la zone en un rien de temps par-dessus les barrières quand cela lui chante, alors que la fuite des « favorites » s’opère lentement (et sans succès) par une des serres. Le risque couru par Belmonte et Pedrillo est également amoindri par un environnement inoffensif : le palais de Selim pourrait être une communauté autonome (d’où les plants), une secte, mais dans ce cas pourquoi avoir pignon sur rue ? La direction d’acteurs fonctionne davantage dans les numéros chantés que dans les passages parlés, mais on concède à Laurent Serrano que sa lecture fait honnêtement le travail. Petite surprise à la fin : une amusante scène (quoique confuse et peu utile) « trente mois après », très animée, sur l’ouverture des Noces de Figaro, comme si le premier Mozart-Da Ponte attendait le spectateur dans la suite directe de L’Enlèvement au sérail, avec les mêmes protagonistes...


L'Enlèvement au sérail - Clermont Auvergne Opéra (2024) © Yann Cabello

En cette première, les voix ne semblent pas toujours être au maximum de leurs capacités. Après deux airs dénués d’émotion, ni justes ni en rythme, Serenad Burcu Uyar se ressaisit pour proposer davantage de nuances au rôle de Konstanze. On retrouve en elle le même « dramatisme » qu’à l’Opéra de Marseille en 2022. De la projection voluptueuse et uniforme en couperet, on comprend aisément la touchante tristesse d’un personnage qui essaie tant bien que mal de trouver sa silhouette expressive ; moins, en revanche, les intentions générales de la soprano, qui, au-delà d’un jeu d’actrice restreint, ne connecte pas toujours ses fragments de phrase, pourtant individuellement gratifiants. Pour le ténor Matthieu Justine, c’est la « ponctualité » mozartienne qui l’emporte, avec une agilité simple et une légèreté exacte, sans surinterprétation. Belmonte devient rêveur idéaliste au timbre séduisant, à la ligne tout sauf figée pour un amour en fête, mais qui avec un peu plus de créativité musicale fascinerait pleinement. Caroline Jestaedt prend plaisir à jouer et à chanter Blonde, dans une lancée que rien n’arrête, malgré quelques notes intermédiaires moins assurées. Le talent comique de Yan Bua trouve sa preuve dans un langage vocal engagé et dynamique, en dépit d’imprécisions au-dessus du fa. Le comédien Guillaume Laloux se contente quant à lui de crier pour incarner Selim. Le charismatique Mathieu Gourlet est sans aucun doute le triomphateur de cette distribution. Son Osmin est une bête sauvage et obtuse au raffinement vocal, qui vise parfaitement la cible mélodique grâce à ses malicieuses fléchettes techniques pleines de ressources, des graves d’intimidation au placement bien posé.


L'Enlèvement au sérail - Clermont Auvergne Opéra (2024) © Yann Cabello

L’Orchestre de l’Opéra de Reims, à l’effectif réduit de cordes, et donc avec des vents plus affirmatifs, fait découvrir d’intéressantes zones d’écoute par son enchevêtrement des pupitres. La valeur du silence et les résonances éphémères sont reines dans la direction d’Adrien Ramon, qui privilégie l’épaisseur fine de la matière instrumentale afin de mieux s’autoriser à s’emballer lorsque le moment le requiert. Les forte ventrus s’intègrent à un geste musical noble et élancé transformable jusqu’à une neige fine et discrète, en parfait équilibre avec le plateau. On se réjouit d’entendre Mozart dans de telles dimensions, que la tournée du spectacle à Abbeville et en Île-de-France (après l’Opéra de Reims) permettra de découvrir sous d’autres coutures, dans des théâtres initialement non-spécialisés dans l’art lyrique.

Thibault Vicq
(Clermont-Ferrand, 12 janvier 2024)

L’Enlèvement au sérail, de Wolfgang Amadeus Mozart :
- à l’Opéra de Reims les 26 et 28 janvier 2024
- au Théâtre de Poissy 30 janvier 2024
- au Théâtre municipal d’Abbeville le 1er février 2024
- au Théâtre des Sablons (Neuilly-sur-Seine) le 8 février 2024
- au Beffroi de Montrouge le 11 février 2024
- au Théâtre Montansier (Versailles) les 2 et 3 mars 2024
- au Théâtre Jean Vilar (Saint-Quentin-en-Yvelines) le 15 mars 2024

N.B. : Erminie Blondel interprétera le rôle de Konstanze à Reims, Poissy, Abbeville, Montrouge, Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines

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