Un Gala lyrique "inopiné" à l'Opéra de Bordeaux

Xl_gala__1_ © Emmanuel Andrieu

C’est contre mauvaise fortune bon cœur qu’a fait l’Opéra national de Bordeaux, car suite à l’annulation en dernière minute du récital de la basse star Ildar Abdrazakov (retenu à Milan pour cause de Covid-19…), Marc Minkowski a organisé un Gala lyrique exceptionnel avec les principaux artistes du Roméo et Juliette de Gounod que le Grand-Théâtre présentait dans le même temps (et dont nous avons pu voir la dernière représentation…). C’est ainsi que Pene Pati et Nadine Sierra, les Roméo et Juliette de la production bordelaise, ont répondu présents à l’appel, mais aussi Adèle Charvet, Nicolas Courjal, Thomas Bettinger, Philippe-Nicolas Martin, ainsi que – en guest star – la soprano égyptienne Amina Edris, qui vient de triompher à l’Opéra Bastille dans Manon, et qui s’avère être… Mme Pati à la ville !

C’est par le tube de l’opéra de Gounod « Ah lève-toi soleil ! » que débute la soirée, et avec lequel le ténor somoan livre une vraie leçon de chant, dans un français d’une pureté exceptionnelle : il y multiplie les demi-teintes et finit l’air sur un pianissimo élégiaque et éthéré. Il reçoit pour cela une première salve de vivats nourris. C’est aux côtés de Nadine Sierra qu’il réapparaitra, pour le fameux duo extrait de Rigoletto « E il sol dell’anima… », dans lequel leurs deux voix fusionnent à merveille. Mais c’est dans celui de Bohème « O soave fanciulla » qu’ils obtiennent un triomphe, après avoir chacun interprété l’air solo qui le précède, « Che gelida manina » pour lui, et « Si, mi chiamano Mimi » pour elle. La chanteuse américaine y offre son beau soprano lyrique qui se déploie ici avec beaucoup de facilité : avec son médium ample, ses aigus rayonnants et ses ravissantes demi-teintes, son chant touche droit au cœur. Comme dans la représentation de Roméo, ils forment un couple des plus crédibles (ils n’arrêtent pas de se bécoter pendant leur duo...), et partage surtout une franchise vocale et un élan qui soulèvent l’enthousiasme de l’auditoire.

S’ils captent le principal de notre attention, les autres artistes réunis ce soir offrent également de beaux moments, à commencer par Thomas Bettinger avec le célèbre air de Lenski « Kuda, Kuda » (Eugène Onéguine), rôle dans lequel il vient de triompher  à l’Opéra de Marseille. Il y renouvelle l’émotion qui nous avait alors étreints, avec un supplément d’âme ce soir, certainement dû aux conditions exceptionnelles de la soirée. De son côté, Nicolas Courjal souffle le chaud et le froid, et après avoir électrisé le public dans un terrifiant « Nonnes, qui reposez » (extrait de Robert le Diable de Meyerbeer), il ne convainc pas tout à fait dans « Elle ne m’aime pas » (Don Carlos), l’émotion ne surgissant que rarement ici, mais il est vrai à sa décharge qu’il est quelque peu cantonné habituellement à des rôles de « méchants », peu enclins à l’introspection et à la souffrance… Adèle Charvet convainc bien mieux dans l’aria tirée du Barbier de Séville « Contro un cor » dans lequel la jeune mezzo française (nommée aux dernières Victoires de la musique classique dans la catégorie « Révélation, artiste lyrique ») séduit, à la fois pour sa probité stylistique et pour la chaleur soyeuse de son timbre. Amina Edris doit, elle, affronter le redoutable air d’Alice « Va, dit-elle, va, mon enfant » (Robert le Diable), qu’elle délivre là aussi avec une excellente diction du français, tandis qu’elle affronte crânement la difficile tessiture à la fois très aigüe et virtuose de cette partie. Elle interprète par la suite un non moins savoureux duo des fleurs, extrait de Lakmé, avec Adèle Charvet dans le rôle de Mallika, et c’est merveille là encore d’entendre les deux voix se marier parfaitement. Philippe-Nicolas Martin se frotte, pour sa part, au personnage de Zurga (dans Les Pêcheurs de perles de Bizet) : son grand air « L’orage s’est calmé » permet aux spectateurs de se délecter de son baryton bien timbré, porté par une projection maîtrisée et un phrasé racé. Enfin, tout ce petit monde finit par se réunir pour offrir en guise de bis l’incontournable (et tellement festif) « Libiamo », extrait de La Traviata de Verdi. Comme pour conjurer le mauvais sort, les bravi continueront de fuser après que les artistes aient quitté la scène...

Emmanuel Andrieu

Gala lyrique exceptionnel au Grand-Théâtre de Bordeaux, le 11 mars 2020

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

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