Pelléas et Mélisande en pièces au Festival d'été de Munich

Xl_xl_pelleas-melisandre-munich-2015 © DR

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy est un opéra de « déconnexions ». Les premiers mots de Mélisande sont : «  Ne me touchez pas ! », et évidemment, elle (ainsi que tous les autres personnages) demeure isolée. Le contact physique, mais aussi et surtout le contact émotionnel et intellectuel semblent impossibles tout au long de l’opéra. Les personnages échouent dans la compréhension de leurs propres sentiments et n’arrivent pas à communiquer le peu qu’ils comprennent. Ils interprètent constamment les mots et les actions des uns et des autres de la mauvaise manière. Le résultat : malheur, violence, et mort.

L’étrange production de Christiane Pohle met en scène ces « déconnexions » à un niveau méta-théâtral. L’action sur scène est opposée de manière flagrante au texte que les personnages chantent. Si Golaud dit qu’il regarde les yeux de Mélisande, elle lui tourne inévitablement le dos. Quand Mélisande chante peigner ses longs cheveux au sommet d’une tour, elle demeure sur le sol et ne touche pas à un seul instant ses cheveux courts. La déconnexion entre l’action et le texte se traduit tout autant par la rupture entre les personnages. Ils n’interagissent que très rarement, et leur allure statique, souvent face au public, n’est pas sans rappeler un opéra en version concert, tout particulièrement lors du dernier acte où tous les interprètes chantent assis en ligne sur le devant de la scène.

En dépit de cette stase, la mise en scène tente d’insuffler une certaine énergie. Des figurants traversent régulièrement la réception de l’hôtel servant ici de cadre, déposant et retirant leurs biens. Lorsqu’on essaie de retrouver la bague de Mélisande, un groupe se fait piéger dans un sas formé par deux doubles portes automatiques. D’étranges créatures à tête de lapin participent de la création du monde cauchemardesque à l’acte III. Quand Pélleas et Mélisande expriment leur amour mutuel, le Docteur prend calmement son propre pouls. Sans doute ne faut-il pas essayer de comprendre ces choix de mise en scène, le thème principal reste le manque de connexions, et ces symboles sont intentionnellement absurdes et vides de sens.

L’inéluctable résultat de cette approche scénique est une déconnexion totale entre le public et le drame. Le concept de cette production n’est pas immédiatement visible, mais lorsque qu’il apparait comme évident, il échoue à offrir un quelconque plaisir ni même quelques idées à creuser pour le spectateur. À la longue, le manque d’activité et d’interactions des personnages peut s’avérer frustrant voire ennuyeux. Le spectacle est néanmoins à son meilleur lors du quatrième acte, quand les personnages sortent enfin de leur isolation dans leur tentative ratée de communiquer. S’ils jouent toujours l’opposé de ce qu’ils chantent (Mélisande et Golaud s’embrassent alors qu’il parle de lui faire du mal), on assiste à une représentation active et intéressante de la déconnexion. Mais c’est malheureusement trop rare, et entre le ressenti négatif du public et le manque de mouvement sur scène, il est facile de comprendre pourquoi la Bayersiche Staatsoper a décidé d’annuler la retransmission en ligne de cette production.

Néanmoins, au regard de la distribution, une diffusion audio de ce spectacle aurait pu être une très bonne idée. Elena Tsallagova (Mélisande) est une soprano pure dont la voix brille sur les textures orchestrales de Debussy. Son apparence jeune et sa coiffure d’enfant sont parfaitement appropriées au personnage. Dans le rôle de son mari grisonnant Golaud, Markus Eiche récite son texte d’une douce voix. Sa maitrise du légato apparait notamment lors du dernier acte, lorsqu’il chante à Mélisande des lignes particulièrement douloureuses. En Pelléas, Elliot Madore chante d’une voix claire et chaude, arborant régulièrement un éclatant sourire.

Les deuxième et troisième rôles sont eux aussi parfaitement distribués. Alastair Miles sonne un tantinet rauque dans son rôle d’Arkel, mais offre un très beau jeu d’acteur, quand bien même il est accablé d’une chaise à transporter tout au long du spectacle. Okka von der Damerau chante Geneviève dans un parfait équilibre, fort de sa richesse de ton habituelle. Peter Lobert est impressionnant, doté d’une très belle résonnance dans son rôle du Docteur. Mais la seconde star de la soirée est sans aucun doute Hanno Eilers dans le rôle du jeune Yniold. Il navigue aisément sur la partition parfois épineuse et ne manque pas un temps. Sa voix vive et gaie de soprano est puissante et plaisante, elle comprend et communique chacune des idées cachées du livret.

Le chef Constantinos Carydis dirige le Bayerische Staatorchester d’une lecture douce et mélodieuse de l’œuvre de Debussy. Les flûtes et les harpes font entendre une partition enchanteresse. Musicalement, c’est une performance d’opéra du meilleur calibre. Mais l’interprétation scénique de Christiane Pohle déconnecte résolument tout ce qui articule l’œuvre et le spectacle – et perd le public dans le procédé. La production parait finalement terne en dépit de son originalité.

Ilana Walder-Biesanz

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