Madama Butterfly à Montpellier : toute l'efficacité de la simplicité

Xl_lucia_di_lammermoor_oonm_10_marc_ginot © Marc Ginot

Mercredi, l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie ouvrait sa saison lyrique par Madame Butterfly, décidément très en vogue en cette rentrée où elle est également donnée à Paris ou Liège. Le choix de la maison montpellieraine s’est porté sur la reprise de la production de Ted Huffman, déjà donnée à Zürich en 2017-2018 et 2018. Ainsi que nous l’avait annoncé le metteur en scène lors de notre récent échange, nous retrouvons l’inspiration de l’art de la gravure japonaise avec cette grande « page blanche » du décor, ainsi qu’un point de vue davantage axé sur celui de Cio-Cio-San.


Madama Butterfly à Montpellier ; © Marc Ginot ; © Marc Ginot

Madama Butterfly à Montpellier ; © Marc Ginot

Avouons que les mises en scène qui tendent à l’épure sont généralement loin d’être, à nos yeux, les plus réussies, en ce sens qu'elles laissent un vide qui peine souvent à être comblé. Nous avons néanmoins été agréablement surpris ici : la production est certes épurée, mais sans laisser cette impression de manque. Le travail minutieux de Ted Huffman porte ses fruits et recentre pleinement le drame, sans fioritures excessives ou exotisme ostentatoire, voire déplacé. Les murs et le sol entièrement blancs servent littéralement de cadre à l’opéra, en guise de toile blanche sur laquelle viennent se dessiner le drame, les personnages en tenues traditionnelles (signées Annemarie Woods), ainsi que les meubles occidentaux apportés par Pinkerton. L’espace laisse libre cours à l’imagination du spectateur, sans encombrer le message de l’œuvre, porté par la musique et le chant. La direction d’acteurs permet des déplacements fluides, et l’on est finalement convié à ce huis-clos, enfermé avec la pauvre Butterfly, tandis que quelques détails semés avec parcimonie et justesse, appuient l’histoire. Comme ce semblant de braises, laissant penser que dans la pauvreté où elle est laissée, la maîtresse de maison se chauffe comme elle peut tout en faisant le thé ; ou encore cette robe superbe qui, malgré le tissu rappelant son costume asiatique, évoque une robe à la mode américaine. Tout est finalement là, dans ce désir d’appartenir à la culture de l’autre continent, celui de son mari, et de se présenter comme telle à ceux qui lui rendent visite. Pour autant, nous voyons bien que dans la sphère intime et privée, Cio-Cio-San conserve des attaches avec sa culture natale japonaise. Ces éléments essentiels, qui permettent de comprendre le personnage, son admiration sans borne pour ce mari ignoble mais aussi sa dignité et sa soumission fière, son don d’elle-même d’abord par l’attente puis par la mort, tout cela est mis en valeur et transmis aux spectateurs par le savant mélange de l’épure et du respect, de la compréhension de l’œuvre par Ted Huffman. Enfin, le terrible moment final de l’hara-kiri, ce paroxysme du drame, est ici particulièrement marquant car d’une brutalité et d’une rapidité surprenante : attendant son époux, Butterfly se tranche la gorge en se précipitant vers lui, tombant morte dans ses bras, tandis que leur jeune fils est présent sur scène. Pinkerton finit penché sur le cadavre encore chaud tandis que Sharpless enlace l’enfant afin de le protéger de cette vision. On finit ainsi bouche bée par l’atrocité de cette scène.

Côté plateau, c’est à la Coréenne Karah Son (déjà bien rôdée au rôle) qu’incombe le personnage de Butterfly. D’une incroyable naïveté juvénile dans les premiers moments, on n’a finalement pas de peine à accepter l’idée qu’elle n’a que quinze ans. On regrette peut-être une certaine réserve dans l’interprétation scénique, mais cela convient également au personnage, d’autant plus qu’elle sait aussi se montrer déterminée, fragile et enfin détruite quand vient le moment fatal de sa mort. Son inquiétude dans l’attente d’un mari, pourtant arrivé au port, est également palpable, tandis que la voix laisse entendre un très beau « Un bel dì, vedremo », probablement l’un des plus beaux moments de la soirée, même si on aurait aimé davantage de couleurs sur l’ensemble de la prestation. La Suzuki de Fleur Barron n’appelle quant à elle aucun reproche, dont la présence scénique est indéniable, la prononciation excellente, et la ligne de chant est lumineuse dans son timbre de velours, nous marquant davantage que sa Fenena dans Nabucco en 2018.


Karah Son (Cio-Cio-San) et Jonathan Tetelman (Pinkerton) ; © Marc Ginot

Jonathan Tetelman apporte sa jeunesse au séducteur Pinkerton, qu’il peint comme l’homme sans scrupule qu'il est, non par méchanceté mais par ignorance du mal qu’il peut faire, sans respect pour la culture dans laquelle il se trouve, par dédain lié à sa jeunesse. Rien n’a d’importance au fond, jusqu’à son retour où ses responsabilités – qu’il veut fuir – s’imposent à lui, l’obligeant à se rendre compte du mal causé. Vocalement, la ligne est claire, la puissance est présente, mais peut-être pas encore assez bien maîtrisée pour aller davantage dans la finesse du personnage. A n’en pas douter, ce genre de détails viendra avec l’expérience. Enfin, si le Bonze de Daniel Grice et le Goro de Sahy Ratia sont convaincants, le second se montrant plus entremetteur que détestable, c’est bien le Sharpless d’Armando Noguera qui rafle la mise ce soir. Nous avions déjà beaucoup apprécié son interprétation à Rouen en 2018, mais il faut bien admettre que ce soir, il se détache tout particulièrement par sa finesse de jeu, soutenue par une voix expressive et miroitante. Dès les premiers instants, il s’oppose au mariage et à sa moralité douteuse, cherchant à préserver Butterfly jusqu’à la fin. Digne et noble, à l’opposé de Pinkerton, il occupe une place importante et reçoit de chaleureux applaudissements plus que mérités.

Côté fosse, Matteo Beltrami est à la tête de l’Orchestre national de Montpellier Occitanie et lui offre une belle amplitude en prenant soin de respecter la partition riche de Puccini, malgré des débuts qui nous ont, admettons-le, un peu inquiétés. En effet, les voix semblent se perdre quelque peu dans la grande salle du Corum durant les premières minutes, avant que fosse et scène ne parviennent à danser ensemble jusqu’au terme de la soirée. Une soirée qui marque un début de saison fort réussi et maîtrisé pour l’Opéra de Montpellier, accueilli par une standing ovation de la part du public. De quoi laisser espérer le meilleur pour les productions àvenir.

Elodie Martinez
(Montpellier, le 2 octobre)

Madama Butterfly à l'Opéra de Montpellier jusqu'au 6 octobre.

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