Fidelio à l'Opéra de Dijon : Beethoven rencontre l'univers carcéral américain

Xl__mir6283_fidelio_op_ra_de_dijon___mirco_magliocca © Mirco Magliocca

Jusqu’au 12 novembre, l’Opéra de Dijon offre à son public un Fidelio, unique opéra de Beethoven, imaginé par Cyril Teste. La production, déjà étrennée à l’Opéra Comique – d’où nous en rendions compte en septembre 2021 – nous plonge dans la vision moderne du metteur en scène qui laisse toute sa place à l’œuvre du compositeur.

Ainsi que notre collègue Thibault Vicq l’avait indiqué, nous plongeons ici dans l’univers carcéral américain, avec sa rigidité, ses codes, sa froideur et un certain aspect aseptisé ou déshumanisé. Ici, les murs ne parlent pas et restent sourds à ce qui se passe. Chacun vit sa vie, les interactions sont réduites au strict minimum, y compris pour les gardiens. Les difficultés de Jaquino pour discuter en privé avec Marzelline au début de l’opéra trouve donc toute leur place dans cette mise en scène, où ils sont effectivement interrompus sans cesse par le personnel et le rouage du fonctionnement administratif carcéral.

Ici, la verticalité de l’emprisonnement – puisque Florestan est dans une grotte dans les profondeurs – rencontre l’horizontalité défendue par le metteur en scène : « conscient de la structure sur laquelle il repose, mais habité par la nécessité de déplacer l’opéra dans une conception contemporaine de l’espace, j’ai choisi de travailler l’œuvre dans une scénographie sans haut ni bas, un espace entièrement « horizontalisé » qui ne se déplie plus que de jardin à cour ». L’usage d’écrans sur scène, dont les déplacements sont une véritable chorégraphie, est maîtrisé et complète le travail scénique, mettant parfois l’accent sur l’invisible, la caméra apparaissant même comme une arme face à Don Pizarro. Seul bémol de cet usage, l’air de Marzelline (à la scène 2 de l’acte I) qui se trouve parasité par la scénographie, l’œil étant accaparé, voire gêné pour apprécier la prestation de la soprano. Outre ce léger défaut, le travail du metteur en scène est appréciable, offrant une vision lisible et actualisée, dans un langage visuel universel.


Sinead Campbell-Wallace (Fidelio/Leonore) © Mirco Magliocca

Sur scène, on retrouve une distribution qui rend elle aussi justice à l’opéra de Beethoven, à commencer par le rôle-titre que Sinead Campbell-Wallace endosse pour la cinquième fois. Elle connaît donc bien Fidelio/Leonore, et offre un personnage fort qui dépasse finalement la question du genre pour aboutir à celle de la crédibilité. Et crédible, elle l’est assurément, jusque dans les gros plans qui ne laissent aucune place à l’erreur, même dans les regards. Le jeu est naturel de bout en bout, y compris dans l’étrange lien qui s’est formé avec Marzelline, dans une confusion de sentiments qui reste assez floue, pour l’une comme pour l’autre. On notera d’ailleurs que Fidelio embrasse la jeune femme, mais que Leonore n’embrasse pas Florestan. Vocalement, les élans du cœur transparaissent à travers une ligne de chant claire, nette et précise. La maîtrise est totale.

Maximilian Schmitt campe de son côté un Florestan affaibli. Bien que les passages filmés laissent voir un jeu d’acteur un peu forcé devant les caméras, l’interprétation sur scène rend davantage hommage au personnage. La voix se pare d’une sombre clarté pour esquisser un homme à la fois détruit et combatif.


Maximilian Schmitt (Florestan) et Sinead Campbell-Wallace (Fidelio/Leonore) © Mirco Magliocca

Si notre collègue avait déjà eu la chance d’entendre Martina Russomanno (lors d’un concert de l’Académie de l’Opéra de Paris, ou bien dans Le Couronnement de Poppée à l’Athénée), ce n’était pas notre cas. Elle est donc une véritable découverte en ce qui nous concerne, et offre une lumineuse Marzelline, forte d’une présence scénique et d’une aura qui capte l’attention à chacune de ses apparitions. Elle se lie avec une facilité déconcertante à la salle, sans pour autant se déconnecter de la scène, de son rôle, des musiciens ou encore des autres chanteurs. La candeur et le caractère solaire de la voix et du jeu se confondent, tandis que le chant est projeté avec aisance et modalisé pour suivre les accents de l’âme. Ce n’est pas sans raison que le public lui réserve un accueil chaleureux au moment des saluts.


Martina Russomanno (Marzelline) et Mischa Schelomianski (Rocco) © Mirco Magliocca

Dans le rôle de son père, le geôlier Rocco, Mischa Schelomianski compose un homme terriblement humain, une sorte de tortionnaire empathique au cœur tendre, mais qui laisse voir une rigidité et une autorité certaine. Parfaitement en accord avec sa place dans l’opéra, sorte de chef des geôliers, mais dont le grade le maintient sous les ordres du gouverneur de la prison. Une humanité et une autorité qui se reflètent par ailleurs dans la voix de la basse, qui finit par s’imposer face au détestable Don Pizarro, sous les traits d’Aleksei Isaev. Véritable tyran dont la présence en impose sur scène, on comprend tout de suite qu’il n’est pas homme à qui l’on peut se frotter sans se piquer… ou bien finir au fin fond d’une prison. Le baryton projette une voix claire et lapidaire, tout à fait convaincante.

Quant au Jaquino de Léo Vermot Desroches, à la voix ambrée, ou au Don Fernando d’Edwin Crossley Mercer, ils sont eux aussi convaincants, de même que les deux prisonniers, Takeharu Tanaka et Henry Boyles, issus du choeur de l’Opéra de Dijon. Ce dernier, préparé par Anass Ismat, mérite lui aussi des louanges pour son homogénéité et son équilibre.

En fosse, Adrien Perruchon – qui connaît bien Beethoven – dirigeait Fidelio pour la première fois de sa carrière. Une première particulièrement réussie, dans laquelle sa connaissance du compositeur s'exprime à travers les multiples tableaux qu’il en ressort, mais aussi les élans symphoniques, dont le plus important demeure le tableau final. Les pupitres sont harmonieux, aucune note ne dénote, et l’on savoure la partition ainsi livrée avec goût, à la fois héroïne première de l’œuvre, mais jamais au détriment de la scène.

Une production réussie, que l’Opéra de Dijon accueille sur sa grande scène de l’Auditorium, qui permet de découvrir l’unique opéra de Beethoven dans des conditions rarement aussi bien réunies.

Elodie Martinez
(Dijon, le 8 novembre 2023)

Fidelio, à l'Opéra de Dijon, du 8 au 12 novembre 2023.

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