Une Cenerentola acidulée pour les Fêtes à l'Opéra de Montpellier

Xl_15._cendrillon_oonm___marc_ginot © Marc Ginot

Pour cette fin d’année 2021, l’Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie offre à son public une œuvre festive, à savoir La Cenerentola de Rossini (ou Cendrillon en français). La mise en scène est ici confiée à Alicia Geugelin, aidée par Elise Schobeß à la dramaturgie, reformant ainsi le duo déjà présent pour Virilité.e.s le mois dernier. Le résultat est un bonbon acidulé qui laisse néanmoins une impression un peu longue en bouche.


Wallis Giunta (Angelina), Serena Sáenz (Clorinda) et Polly Leech (Tisbe) ;
© Marc Ginot


Dominic Barberi (Alidoro), Ilya Silchukov (Dandini), Wallis Giunta (Angelina)
et Carlo Lepore (Don Magnifico) ; © Marc Ginot

Des idées intéressantes émergent dès le début de soirée : une vieille Cendrillon se tient au balcon et salue le public d’un geste royal, s’endort, chantonne… avant de finalement quitter son sceptre, sa couronne, sa robe – qui restera debout contre le garde-corps, comme toujours habitée – et enfin sa chevelure grise. Sous nos yeux, elle rajeunit et redevient jeune fille, avec ce côté enfantin restitué lorsqu’elle joue sur scène avec une corde à sauter, ou qu’elle fait la roue. Clorinda et Tisbé ont, elles aussi, cette apparence de petites filles, avec ses patins pour l’une et sa trottinette pour l’autre. Le décor est noir et brillant, faisant ainsi ressortir les couleurs vives des personnages (bleu, vert, jaune, rose…), de même que le blanc d’Angelina. A partir de là, on aurait tendance à croire que l’on assiste à la projection psychologique de l'enfance de la Cendrillon âgée. Vieille et fatiguée – mais aussi accessoirement seule –, elle se plongerait donc dans ses souvenirs qu’elle revit devant nous.

Le concept est plaisant, mais finit néanmoins par s’essouffler, et laisse parfois un sentiment de remplissage. L’œil n’a pas vraiment de décors auxquels s’accrocher, et il se focalise donc sur les personnages très actifs. Malheureusement, lors des passages moins dynamiques de la narration, les longueurs se font un peu sentir. De plus, le jeu de couleurs des costumes crée des duos qui n’ont a priori pas lieu d’être : Dandini (quand il est déguisé en prince) porte une perruque vert foncé et une chemise bleu pâle, faisant écho à la perruque et à la robe des mêmes couleurs de Tisbé. Sa sœur porte ces couleurs en miroir faisant écho à la perruque bleue et au costume vert toutefois plus vifs d’Alidoro. Don Magnifico est habillé de bleu et de vert, mais également d'une perruque jaune, couleur portée par les hommes. Le doré est apparemment l’apanage du pouvoir princier arboré par Don Ramiro, de même que Cendrillon une fois reine. Quant au blanc de l’héroïne, on peut se demander s’il est simple symbole de pureté, l’absence de choix de couleur, ou encore la somme de toutes les couleurs, faisant ainsi de l’héroïne la somme de tous les personnages, ou des multiples facettes ou créations de la jeune fille dans ce qui est sa projection... On se demande donc si les couleurs sont simplement là pour vivifier la scène et amuser l’œil, ou si une symbolique se cache réellement derrière.


Serena Sáenz (Clorinda), Dominic Barberi (Alidoro), Polly Leech (Tisbe),
Alasdair Kent (Don Ramiro) et Ilya Silchukov (Dandini) ; © Marc Ginot


Wallis Giunta (Angelina) et Choeurs de l’Opéra ; © Marc Ginot

Outre ces couleurs et l’excellente direction d’acteurs, on notera comme fil conducteur l’immense lustre, tantôt droit, tantôt penché, tantôt prison pour Angelina. La lecture du livret de la soirée permet de savoir qu’il est employé pour symboliser les deux mondes polarisés que sont l’opera seria et buffa présents dans l’œuvre, d’où son côté parfois bancal et parfois non. Enfin, « tout ce qui entre ou sort de scène se (fait) monté sur roulettes », de même que les deux sœurs roulent elles aussi avec leurs patins et leur trottinette. Si dans un premier temps, ces accessoires appuient la dimension enfantine, on s’interroge sur leur nécessité lorsqu’on les retrouve à la scène 12 du premier acte. En d’autres termes, si tout roule sur scène, ce n’est pas forcément le cas de notre perception et de la compréhension globale.

D’autant plus que la fin interroge : une fois parée de son encombrante robe de reine, Cendrillon se tourne avec tristesse vers cette même robe, toujours dans la loge du premier balcon, tandis que les autres personnages se reculent dans le noir, la laissant seule. Là encore, il faut nous plonger dans le programme de salle pour apprendre qu’il s’agit ici de la montrer « prisonnière de son rôle de reine ». En nous basant sur la lecture du spectacle comme échappatoire psychique à sa solitude, nous pourrions toutefois penser que cette vision finale était aussi une sorte de face à face avec elle-même. Il est donc dommage que le travail scénique manque finalement de lisibilité dans les intentions de la mise en scène. Cela n’empêche bien sûr pas une distraction réussie et de bons moments, ainsi qu’une lecture de l’œuvre assez fidèle, et même intéressante lorsque la tempête de l’acte II devient tempête psychologique, avec l’ensemble des personnages ballotant et tourbillonnant devant une Angelina qui, elle, n’est pas touchée, comme s’ils étaient ses idées ou ses inventions tourbillonnantes dans ce moment-clé de l’œuvre où elle se retrouve justement seule. La réaction du public montre par ailleurs que le spectacle plaît et offre une touche colorée dans la grisaille du monde extérieur.


Wallis Giunta (Angelina) ; © Marc Ginot

Polly Leech (Tisbe) et Serena Sáenz (Clorinda) ; © Marc Ginot

Côté voix, l’héroïne interprétée par Wallis Giunta est une surprise et une très belle découverte. La ligne est claire et la voix ambrée plonge dans des mediums soyeux à souhait. On s’emmitouflerait bien dans ce chant molletonné, duveteux et chaud, qui ne manque pas pour autant de nuances, de couleurs et de miroitements. Le jeu scénique est tout aussi maîtrisé que celui du chant, et l’interprète parvient sans mal à capter l’attention, tant des yeux que des oreilles. Alasdair Kent prête une voix solaire à Don Ramiro, en campant un personnage amoureux et léger, retrouvant tout son caractère princier lorsqu’il faut imposer ses choix. Le Dandini d’Ilya Silchukov ne renie en rien ses origines buffa, jouant du ridicule sans pour autant tomber dedans.

Dominic Barberi est un Alidoro scéniquement convaincant, de même que le Don Magnifico de Carlo Lepore, dont la voix ample sert le personnage. Enfin, les deux sœurs campées par Serena Sáenz (Clorinda) et Polly Leech (Tisbe) apportent comme toujours du comique à la soirée. On a l’impression qu’elles prennent un malin plaisir à jouer ces personnages aux enfantillages incessants. De même, les chœurs de la maison se montrent excellents et paraissent eux aussi s’amuser sous leurs perruques roses.

A la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, Magnus Fryklund offre une prestation pleine d’ardeur avec un bel équilibre entre les pupitres et des feux d’artifices musicaux, mais il en oublie des nuances pourtant essentielles pour les voix. En effet, le chef pousse la musique en avant, et laisse souvent les chanteurs derrière, qui se fatiguent dans des pianissimi délaissés par l’orchestre. Il ne tempère pas, mais exalte, et c’est dommage car seule cette nuance manque pour offrir une écoute parfaite. Bien que fortement conquis par le côté festif et vivant de sa direction, on apprécierait un peu plus de retenue lors de certains passages, et une écoute attentive des voix sur scène afin de ne pas les écraser mais les porter davantage.

Au final, cette Cendrillon demeure festive sans oublier la touche de sérieux qui demeure dans son ADN. On passe une belle soirée et l'on savoure la découverte qu'est Wallis Giunta, mais on ressort malgré tout avec cette impression qu’il manque quelque chose, de même que pour un bonbon acidulé qui réveille les papilles mais sans offrir de goût réellement défini : passé l’amusement du début et la surprise de l’acidité sur la langue, il finit par manquer ce petit quelque chose pour que le plaisir de la dégustation soit complet. Toutefois, si l’on ressent ce sentiment de « je-ne-sais-quoi » manquant, celui de fête demeure de loin le grand gagnant, et l’essentiel reste la satisfaction manifeste du public, heureux de cette soirée colorée passée ensemble.

Elodie Martinez
(le 19 décembre à Montpellier)

Cendrillon de Rossini, du 19 au 23 décembre à l'Opéra Orchestre national Montpellier.

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