A Lyon, la partie débute avec La Fanciulla del West, dame de cœur d'un jeu gagnant

Xl_lafilledufarwest3g__jeanlouisfernandez013 © Jean-Louis Fernandez

Vendredi dernier marquait le lancement du festival de l’Opéra national de Lyon, placé sous le thème cette année de « Rebattre les cartes », qui s’ouvrait avec La Fille du Far West – hommage à Puccini oblige. L’oeuvre est donnée pour la première fois à Lyon, dans une nouvelle mise en scène signée par Tatjana Gürbaca.

Cette mise en scène s’avère relativement sobre, nous plongeant dans un Western atemporelle, à la fois passé et présent, grâce au décor de Marc Weeger, aux costumes de Dinah Ehm et aux lumières de Stefan Bolliger qui offrent un bel effet sépia au lever de rideau, nous plongeant dans le grand ouest américain par la magie de l’éclairage.


La Fanciulla del West, Opéra de Lyon (2024) © Jean-Louis Fernandez

Sur la scène, une sorte de bar est surélevé, sur différents niveaux, et un immense lustre deviendra plus tard la cabane de Minnie. Aucun élément n’est trop marqué, et pourtant, tout existe et coexiste. Au fond, la toile dépeint cet horizon vers lequel le couple partira finalement. Si c’est par un départ et un nouveau commencement que tout finit, c’est aussi par une ouverture que se ferme le fond de scène. En tournant ou déplaçant quelques éléments, le décor devient un autre lieu, sans marque précise. Au dernier acte, tout est finalement brisé, laissant présager que la fin approche et que sans Minnie, rien ne tient debout. Ce n’est toutefois là qu’une hypothèse car il faut admettre que l’idée ne trouve pas d’explication dans le livret, ni même sur scène. On doute que les quelques jours passés soient à l’origine d’un tel délabrement. Ce qui ne laisse aucun doute en revanche, c’est l’efficacité de la direction d’acteurs, fort bien maîtrisée.

En ne se laissant pas aller aux clichés faciles, tout en n’omettant pas les idées reçues que le public aura à l’évocation du Far West, Tatjana Gürbaca réussit le pari d’une mise en scène entièrement au service de l’œuvre, discrète mais présente, efficace sans vouloir être la star de la soirée. Et on l’en remercie pour cela, même si, selon les goûts de chacun, l’ensemble peut manquer de fantaisie pour qui voudrait une interprétation hollywoodienne.


La Fanciulla del West, Opéra de Lyon (2024) © Jean-Louis Fernandez

Car la véritable star à l’opéra reste la musique. Une musique loin de La Bohème, Tosca, ou autre Turandot et même Madame Butterfly. La Fanciulla del West apparaît un peu à part dans l’œuvre de Puccini. Peut-être est-ce pour cela qu’elle est moins donnée que les autres citées. Pourtant, la musique est forte ici, et magnifiquement défendue par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sous la direction de son chef Daniele Rustioni. Certes, en début de soirée, quelques cordes pincées ajoutent un effet presque métallique disproportionné, mais c’est là le seul léger défaut de toute la soirée. On n’en tient donc pas rigueur, d’autant plus que l’orchestre fait bien plus que simplement exécuter la partition. Le sépia de la scène est injecté dans la musique par le maestro qui dépeint la fresque puccinienne avec le talent qu’on lui connaît. La fougue musicale fait rugir l’orchestre, qui sait se montrer tendre et délicat. On demeure saisit dès l’introduction, et jusqu’à l’ultime note.

Vocalement, Chiara Isotton tire son épingle du jeu dans le rôle-titre. Dès le début de la partie, elle montre une voix puissante, projetée avec sagesse, capable de hautes volées mais aussi de vol rasant. Expansive face à tous ces hommes dont elle prend soin mais qu’elle commande quelque part – c’est bien elle qui aura le dernier mot –, elle sait aussi se montrer fragile et délicate face à l’amour. Elle est indubitablement la dame de cœur de ce jeu de cartes qu’elle rebat. Quant à son valet, Riccardo Massi en Dick Johnson (alias Ramerrez), il demeure très expressif et solaire malgré quelques très légères petites faiblesses dans la projection, qu’on aime parfois plus poussée pour un ténor puccinien. La réussite de son interprétation est réelle, entre la mélancolie qui coule dans le chant, l’incarnation de bout en bout de cet amoureux transit qui hérite du banditisme de son père, et la détermination de cet homme non seulement pour la femme qu’il aime, mais aussi contre ceux qui se mettent sur son chemin.


La Fanciulla del West, Opéra de Lyon (2024) © Jean-Louis Fernandez

Parmi eux, le plus redoutable demeure sans doute le shérif Jack Rance de Claudio Sgura. Si rien dans son costume ne lui confère cette autorité judiciaire, c’est parce qu’il est davantage attiré par la fortune comme le montre le manteau de fourrure qu’il ne quitte pas. La voix terriblement profonde est projetée avec fougue et autorité – de cette autorité que l’on s’octroie soi-même mais que tout le monde respecte. Loin d’être manichéen, ce roi de pique ne perd pas de sa noblesse malgré ses vices. Aime-t-il Minnie ou la désire-t-il ? Si l’on penche davantage pour la deuxième option, son geste final – il pointe son revolver contre sa tête avant de renoncer à appuyer sur la gâchette – et le fait qu’il tienne sa promesse laisse penser que la première option est également bonne. Toute la complexité du personnage est alors admirablement portée par le chanteur et cette voix particulièrement sonore.


Claudio Sgura, La Fanciulla del West, Opéra de Lyon (2024) © Jean-Louis Fernandez

Robert Lewis – membre du Studio – prête sa voix à Nick, personnage apportant un peu de légèreté, y compris par sa voix de ténor. Ami de tous et ennemi de personne, il parvient à être particulièrement présent mais discret sans se cacher. Autre soliste du Studio, Thandiswa Mpongwana interprète avec brio Wowkle. Malgré un rôle secondaire, on la remarque aisément et sa voix nous apporte douceur, réconfort mais aussi solidité dans cette ligne de chant aux accents multiples. Rafał Pawnuk incarne pour sa part Ashby, l’agent de la Compagnie Wells Fargo, Pete Thanapat, Larkens qui se complaint en début de soirée, ou encore Pawel Trojak qui offre un très beau Jack Wallace. En réalité, il faut souligner ici que l’ensemble des comprimari est fort bien distribué et offre grande satisfaction : Allen Boxer (Sonora), Matthieu Toulouse (Sid), Ramiro Maturana (Bello), Léo Vermot-Desroches (Harry), Valentin Thill (Joe), Florent Karrer (Happy), Zwakele Tshabalala (Trin), mais aussi Paolo Stupenengo (José Castro), Kwang Soun Kim (Billy Jack Rabbit) et Didier Roussel (un postillon), tous trois appartenant aux chœurs de l’Opéra de Lyon.

Ce dernier, préparé par Benedict Kearns, n’en finit pas de nous séduire. Scéniquement, il offre de très beaux mouvements, des tableaux esthétiques ou encore des arrêts sur image efficaces. Vocalement, la maison a de la chance de pouvoir compter sur un chœur aussi solide qui sait apporter force et nuances dans une union toujours impeccable. Il demeure finalement l’as que l’on sort de sa manche quelle que soit la partie.

La Fille du Far West, à Opéra national de Lyon jusqu'au 2 avril.

Elodie Martinez
(le 15 mars à Lyon)

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