Le point de vue d’Alain Duault : Bayreuth, Parsifal, l’air de la déception

Xl_parsifal-festival-de-bayreuth-2023-alain-duault © Festival de Bayreuth

C’est la nouvelle production de l’édition 2023 : ce Parsifal était donc très attendu. La déception n’en est que plus grande.

Car le premier intérêt annoncé de cette nouvelle production était l’introduction pour la première fois de la « réalité augmentée », grâce à des lunettes reliées à un complexe système informatique censé produire, en parallèle à l’action scénique, des images multiples qui dynamisent, élargissent, réinventent la vision de ce Parsifal. En fait, une fois chaussées ces lourdes lunettes, on voit sans cesse, s’interposant entre la scène (qui apparait comme éloignée, dans un lointain mal distinct, presque flou) et soi-même, une multitude d’objets dessinés à l’ordinateur, c’est-à-dire sans aucun réalisme, qui tournent sur eux-mêmes, comme une pluie d’aérolithes sans aucun lien avec l’action qu’on est venu suivre. Tout cela dans une vision primaire de jeu vidéo, mais à l’esthétique vintage – car les nouveaux jeux vidéo produisent des images beaucoup plus sophistiquées ! Bref tout cela donne vite le tournis et on ôte les lunettes, quitte à les remettre de temps à autre pour voir tournoyer des pierres garnies de séracs bleus, des branches d’arbre, des fraises, des serpents agiles, des colombes, des crânes, des sacs en plastique, des oiseaux blanchâtres, des disques en folie, des bouteilles en plastique, tout un bric-à-brac qui détourne l’attention de la scène… Un ratage. 


Parsifal, Festival de Bayreuth 2023

Hélas, la production elle-même n’engage guère plus à l’euphorie : dans un décor improbable, mélange d’images de science-fiction, de cartoons revus par le Douanier Rousseau, de Barbie et de fin du monde, des êtres improbables se déplacent sans conviction, d’une démarche languissante qui semble correspondre à la vacuité de leur âme. En fait, on ne sait pas ce que veut montrer Jay Scheib : que la nature est malade ? que le rituel des chevaliers du Graal peut les sauver du désastre, comme il guérit la blessure d’Amfortas ? que la spiritualité est en fait réduite aux objets, ces reliquaires et autres boites censées contenir des objets de culte qui parsèment la scène ? que la réalité est toujours virtuelle – d’où l’inévitable recours aux projections vidéo et à la présence de deux hommes, caméra au poing, qui filment les chanteurs qu’on voit donc en gros plan au-dessus de la scène où ils jouent… Rien n’accroche vraiment, tout parait plat, sans vie, fade, lointain, un monde où l’on n’entre pas – un monde peut-être à rebâtir, ce qui pourrait expliquer dans le dernier tableau la présence d’un énorme bâtiment de chantier qui pourrait tout aussi bien être une machine de guerre… C’est dommage car il y a beaucoup de moyens mis en œuvre, essai de « réalité augmentée », décors multiples, costumes innombrables, mais tout cela dans une triste esthétique du débraillé, du sale, du moche et du n’importe quoi (qui fait se remémorer la parole prophétique de Milan Kundera il y a plus de vingt ans : « la laideur s’empare du monde »), pour aboutir à un goût d’amertume à la fin du spectacle.

Pourtant il y a la somptueuse musique de Richard Wagner – mais là encore, le compte n’y est pas. D’abord du fait de la direction du chef espagnol Pablo Heras-Casado, dont les tempi exagérément ralentis font perdre toute matière à l’orchestre et étouffent toute la première partie. Plus animé au deuxième acte, il n’intéresse pourtant jamais, ne creusant pas la chair de la partition, n’exaltant pas les éléments harmoniques ou les brisures rythmique qui pourraient dynamiser par exemple la scène du Jardin de Klingsor : tout est toujours lisse, propre, mais sans élan. Plus en phase au troisième acte, avec un Enchantement du Vendredi Saint riche de sonorités poétiques, du côté des bois en particulier, il conclue cette vaste fresque avec quelques belles couleurs – mais ce n’est pas suffisant pour donner à cette interprétation un sens. En fait, tout y est tristement à l’égal de la production…


Parsifal, Festival de Bayreuth 2023 - Filles-fleurs

Les voix pourraient rattraper cette impression de fadeur générale – mais aucune n’impose véritablement une présence vocale qui donne leur épaisseur dramatique aux personnages. Attention, il n’y a aucun contre-sens vocal, simplement une équanimité, une atmosphère de bon aloi mais qui ne dépasse pas la satisfaction première d’un travail bien fait. L’Amfortas de Derek Welton impressionne par la vigueur d’un timbre bien projeté (peut-être même trop pour un personnage dévoré par une souffrance omniprésente), le Titurel de Tobias Kehrer est sombre à souhait sans être jamais cette voix de gouffre qu’on attend de ce personnage d’outre-mort, le Gurnemanz permet de retrouver l’étonnant Georg Zeppenfeld, capable d’enchaine la veille le Daland du Vaisseau fantôme avec ce rôle où ses qualités de diseur s’affirment encore une fois, le Klingsor en costume rose et chaussures à talons (n’oublions pas qu’il a été châtré !) trouve en Jordan Shanahan un bon interprète mais pas un magicien du son, s’il l’est de l’espace… Les filles-fleurs, emperruquées, soit blondes soit rousses, toutes vêtues en costumes de Barbie rose flashy, sont avenantes et bien chantantes, parvenant à ne guère se décaler dans les entrelacs de lignes subtilement tressées, avec quelques individualités dont le timbre plane dans des phrasés sensuels (telle la deuxième Fille-Fleur de la franco-allemande Camille Schnoor). Demeurent les cas de deux remplaçants de luxe : dans celui de Kundry, on attendait Elina Garanca, c’est Ekaterina Gubanova qui endosse le rôle de l’ensorcelante, de la troublante servante. La voix est souple, mais un peu claire de timbre pour donner le frisson des vertiges, elle chante et joue bien sa Kundry : elle ne renverse pas, elle n’incendie pas, elle fait seulement plaisir à entendre, ce qui n’est déjà pas si mal. Quant à Andreas Schager qui remplace Joseph Calleja, malade, c’est à la fois un bonheur pour les festivaliers, ravis de retrouver sans doute le plus grand heldentenor d’aujourd’hui – mais ce n’est pas le personnage qu’il habite le mieux : Schager est un guerrier, un ardent, un viril alors que Parsifal est « un chaste fol », un être fragile, perdu dans ce monde qu’il a du mal à comprendre. Autant Calleja aurait été le Parsifal idéal, autant Andreas Schager est trop affirmatif, trop flamboyant, trop riche comme un vin trop capiteux.

Au final, une déception en dépit de beaucoup d’éléments réunis, de belles voix assurément, un chef de métier, une profusion de décors et de costumes, un essai de technologie avancée… mais la mayonnaise ne prend pas, le soufflé retombe, le compte n’y est pas. Dommage !

Alain Duault
Bayreuth, 15 août 2023

Parsifal au Festival de Bayreuth 2023, du 25 juillet au 27 août 2023

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