Tosca à l'Opéra de Dijon : entre merveille musicale et déception scénique

Xl__mir8256-tosca___mirco_magliocca_op_ra_de_dijon © Mirco Magliocca Opéra de Dijon

Alors qu’il s’apprête à annoncer au public sa saison 2024-2025 – sur laquelle nous revenions dernièrement dans nos colonnes –, l’Opéra de Dijon donne en ce moment Tosca dans une nouvelle production signée par Dominique Pitoiset. Nous ne cacherons pas notre déception face au travail du metteur en scène, mais heureusement, les voix et la musique ont permis de sauver la soirée.

Commençons par la chose qui fâche : la mise en scène plus que spartiate de Dominique Pitoiset, « inspirée par un retour à l’espace vide du Théâtre du Globe shakespearien », dont on a du mal à tirer quelque chose. Un rectangle blanc sur scène, qui se veut être comme une « page blanche » sur laquelle s’écrit l'histoire, des draps noirs pour fermer les trois côtés de la scène, se relevant comme on soulève un voile afin de faire entrer et sortir des personnages, ou bien de laisser voir dans le fond de scène tantôt un confessionnal, tantôt la chaise sur laquelle est torturé Mario, tantôt un cercueil. Pour le premier acte, des chaises seront disposées autour du rectangle blanc pour accueillir les chœurs, avant d’être retirées pour la suite de la soirée. Enfin, un banc d’église sera positionné sur cette scène pour l’acte I, puis un fauteuil de velours rouge pour l’acte II, et enfin un piano – dont on se demande ce qu’il fait là – pour l’acte III. Que le piano soit faussement utilisé deux minutes pour accompagner une jeune fille n’apporte pas vraiment d’utilité à l’objet. Scarpia n’aura même pas droit à une table pour rédiger son laisser passer.


Tosca, Opéra de Dijon © Mirco Magliocca Opéra de Dijon

La soirée débute d’ailleurs dans l’attente : une dizaine de minutes sans musique après le lever de rideau afin de faire entrer petit à petit les hommes solistes qui se retrouvent entre eux. Puis une voix sort de haut-parleur pour les remercier d’avoir répondu présents à l’invitation, expliquer qu’ils ont tous été les partenaires sur scène de l’épouse de La Voix qui s’avère être atteinte d’un mal étrange, sombrant dans des fantasmes et la perte de mémoire. Ils sont ici afin d’incarner des personnages pour lui rappeler des souvenirs et la réalité. Décidément : les pauvres héroïnes lyriques finissent toutes folles depuis quelques temps, condamnées par le livret… ou bien par des metteurs en scène qui semblent à court d’idée. Dominique Pitoiset reprend ce procédé de maladie mentale de l'héroïne et de fantasmes, sans pour autant le rendre particulièrement visible (mais simplement énoncé en début de soirée) ou le lier plus que cela à Tosca. Afin de palier à son absence de décor, il ajoute une jeune femme blonde presque omniprésente, dont on ignore l’identité… jusqu’à ce que le jeu des acteurs dévoile qu’elle est la fameuse Madone que peint Mario. Une fillette censée être Tosca jeune fait également son apparition au dernier acte pour chanter au piano devant deux hommes d’église (dont un prêtre au piano), avant de s’asseoir sur le corps de l’un d’eux inanimé au sol, et enfin, tenir la Tosca dans ses bras. En la matérialisant, Dominique Pitoiset souhaite « donner corps à son passé traumatique », mais la lisibilité n'est pas au rendez-vous, de même que celle du désir de « mettre en évidence les traumatismes et la gradation du harcèlement et des agressions que subit Tosca, jusqu’à l’acculer au meurtre » sans pour autant « les révéler par des signes explicites ». Néanmoins, l'image finale est belle, et ce que l’on doit toutefois reconnaître au metteur en scène, c’est une belle direction d’acteurs, efficace et convaincante.


Tosca, Opéra de Dijon © Mirco Magliocca Opéra de Dijon

Heureusement, le déplacement est loin d’être vain, puisqu’il permet d’entendre une distribution qui ne souffre d’aucun maillon faible. Dans le rôle-titre qu’elle maîtrise parfaitement pour l’avoir déjà interprété sur bien des scènes, Monica Zanettin fait un carton plein. Tout est juste, tant dans l’implication vocale que scénique : amante d’une jalousie féroce et effrayante, mais aussi douce et pleine d’espoir quand elle rêve de son avenir aux côtés de son amant. Ou encore d’une farouche détermination face à son bourreau – qu’elle tue d’ailleurs à distance ici, en plantant son couteau dans le vide pour faire véritablement saigner Scarpia à l’autre bout de la scène. Elle dompte un impénétrable chant duquel ruisselle l’émotion selon le juste débit qu’elle souhaite apporter. Son « Vissi d’arte », forcément très attendu, est applaudi par le public conquis d’avance, qui salue là un air mené avec intelligence, justesse et émotion.

Face à elle, le Mario Cavaradossi de Jean-François Borras ne démérite pas. La projection noble laisse entendre une voix lumineuse et chatoyante tandis que l’incarnation s’avère particulièrement entière et incandescente. A la fois homme loyal à ses idéaux, entre politique et amour, il dresse un portrait magistral et complexe de l’homme, du patriote et de l’amant. Pour le célèbre air « E lucevan le stelle », le ténor nous embarque avec une efficacité redoutable dans cette partition sublime aux accents miroitants. La prestation lui vaut d’ailleurs les applaudissements du public.

Dernier membre de ce trio lyrique, le Scarpia de Dario Solari, au chant soyeux de baryton puissant, amenant un personnage détestable mais de toute noblesse. Le pouvoir tyrannique qu’il exerce est politique, loin d’une crasse de voyou ou d’un désordre libidineux. Certes, bien que contrôlant tout ce qu’il entoure il ne parvienne pas à se contrôler totalement lui-même, mais il demeure assez maître de sa personne pour ne pas se laisser aller à une décadence trop visible.


Tosca, Opéra de Dijon © Mirco Magliocca Opéra de Dijon

Les autres rôles sont tout aussi convaincants, des solides Spoletta et Sciarrone de Grégoire Mour et Yuri Kissin au sacristain, juste, de Marc Barrard, en passant par le geôlier de Jonas Yajure.

En fosse, Debora Waldman dirige l’œuvre pour la première fois à la tête de l’Orchestre Dijon Bourgogne. Là aussi, la réussite est totale : puissance, nuances, précision, écoute, chant de cuivres ou de cordes, ensemble uni, tout se mêle et s’entremêle sans s’emmêler. La richesse de l’orchestration resplendit et déferle avec maîtrise depuis la fosse, à l’écoute de la scène, sans jamais l’écraser. Le son est ample, léger, coloré, à la fois énergique mais aussi tendre aux moments opportuns. De quoi redécouvrir ce chef d’œuvre, également merveilleusement servi par le chœur de l’opéra (préparé par Anass Ismat) et la maîtrise de Dijon (préparée par Etienne Meyer). L’équilibre des voix est exemplaire et la puissance déployée, sans être trop importante ou criarde, laisse entendre un chœur dont la maison peut s’enorgueillir.

Finalement, on ressort frustré de cette soirée, entre d'une part un plateau et une fosse dignes de tous les éloges, et d'autre part une mise en scène particulièrement décevante. Malgré la direction d'acteurs, on en vient à penser que l’Opéra de Dijon aurait peut-être pu se contenter d’une version concertante ou semi-concertante pour cette Tosca, aux voix et à la direction (musicale) fabuleuses.

Elodie Martinez
(Dijon le 14 mai 2024)

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