Katia Kabanova à l'Opéra de Toulon

Xl_katia © Frédéric Stéphan

Dès la première scène de cette Katia Kabanova de Leos Janacek présentée (pour la première fois) sur la scène de l'Opéra de Toulon, nous comprenons que Nadine Duffaut s'est ici surpassée (nous n'avons pas toujours été tendre avec ses mises en scène...), et les qualificatifs manquent même cette fois pour l'éloge qu'elle mérite. Cette recréation fascinante de l'univers de Tchekhov illustre avec une puissance et une économie de moyens remarquables les préjugés, l'hypocrisie et les tyrannies domestiques d'une ville de province sur la Volga. Mme Duffaut aborde cet opéra quasiment comme une pièce de théâtre, avec un résultat d'une richesse remarquable, et construit ses personnages en fonction de leur rôle dans le drame, révélant toutes les facettes de leur caractère, à l'instar de la scène où Kabanicha se compromet avec Dikoï. L'équipe de production – Emmanuel Favre pour les décors, Danièle Barraud pour les costumes, et Jacques Chatelet pour les lumières – rend également pleinement justice au maître visionnaire du vérisme tchèque.

Le choix de Christina Carvin – superbe Compositeur (Ariadne auf Naxos) in loco en mars dernier – est judicieux : la cantatrice allemande nous fait partager la douleur d'une femme sexuellement et affectivement frustrée, trouvant le juste équilibre entre l'innocence et l'amertume de l'expérience. Vocalement, aucun vibrato ni « acidité » slaves, mais un phrasé raffiné et une voix capable de se mesurer à la puissance, quasi héroïque de certains passages, toujours contrôlée, même à l'extrême limite de ses possibilités. Les notes aiguës sont parfaitement placées, les autres colorées avec délicatesse et subtilité. Le dernier air – où l'héroïne perd l'esprit et entend des voix – est d'une violence déchirante.

Autour d'elle, une distribution irréprochable où chacun vit et personnifie son rôle avec beaucoup de justesse : Marie-Ange Todorovitch (Kabanicha), économe de ses moyens en évitant de trop tirer la couverture à elle, Ladislav Elgr, Boris falot, comme il se doit (mais avec une voix moins éclatante de santé que lorsqu'il a chanté le rôle de Boris dans Lady Macbeth de Mzensk, à l'Opéra de Flandre, la saison passée), Zwetan Michailov, Tikhon tout à la fois sonore et veule, caractériel et circonspect, la toute jeune Valentine Lemercier (Varvara), d'une insouciance toute printanière, dotée de surcroît d'un timbre enchanteur, Elmar Gilbertsson, Kudriach séduisant et allègre, au timbre sensuel et viril, et enfin Mikhaïl Kolelishvili, Dikoï veule mais non dépourvu d'une grandeur pathétique, tant la voix sait rester belle et la ligne soignée.

Au pupitre, le chef australien Alexander Briger sait capter toute la douceur de cette musique, autant que sa vigueur. Passant de la tendresse de la dernière scène qui réunit Katia et Boris à la folie graduelle du tableau de la confession, son approche de l'architecture de la partition est d'une grande sûreté, à la tête d'un Orchestre de l'Opéra de Toulon au jeu précis et proprement articulé.

Emmanuel Andrieu

Katia Kabanova de Leos Janacek à l'Opéra de Toulon

Crédit photographique © Frédéric Stéphan

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