Quand Chagall et Malraux bousculaient l’Opéra Garnier

Xl_opera_garnier_-_chagall_ceiling © DR

Le 23 septembre 1964, il y a exactement cinquante ans, André Malraux alors ministre des affaires culturelles inaugurait le nouveau plafond de l’Opéra Garnier réalisé par Marc Chagall – et masquant le plafond original de l’établissement parisien réalisé par Jules Lenepveu. L’œuvre ne laisse pas indifférent et suscitait alors de vives polémiques (encore vivaces aujourd’hui). Nous saisissons l’occasion de cet anniversaire pour revenir sur l’histoire passionnée du plafond de l’opéra de Paris.

En 1860, Napoléon III commandait la construction d’une Académie impériale de musique et de danse au coeur de Paris. Le concepteur de l’établissement qui deviendra l’Opéra de Paris sera choisi au terme d’un concours anonyme qui, contre toute attente, est remporté par le jeune architecte Charles Garnier (méconnu et qui n’a encore rien construit ou presque), au nez et à la barbe des grands bâtisseurs du Second empire. Charles Garnier, qui laissera son nom à l’Opéra parisien, imagine alors un bâtiment mêlant les styles et les inspirations pour concevoir un temple dédié aux arts qui tient du décor théâtral, à la fois fastueux et moderniste dans sa conception.
Un avant-gardisme, parfois discuté voire critiqué, qui marque la salle parisienne tout au long de son histoire, et notamment le 23 septembre 1964, il y a exactement cinquante ans, à l’occasion de l’inauguration du plafond de la grande salle de l’Opéra Garnier réalisé par Marc Chagall – plafond de plus de 240 m², qui recouvre l’original réalisé au XIXème siècle par le peintre Jules Lenepveu et dont on fête aujourd’hui l’anniversaire.

Le 17 février 1960, le général de Gaulle et André Malraux, alors ministre des affaires culturelles, accueillent une délégation officielle péruvienne et assistent à la première de gala de Daphnis et Chloé, le ballet de Maurice Ravel donné à l’Opéra Garnier et dont Marc Chagall a réalisé les décors et costumes. L’histoire veut que le ministre, peu intéressé par ce qu’il voit sur scène, lève les yeux vers le plafond pour y découvrir l'oeuvre – très académique – de Jules Lenepveu.
À l’entracte, André Malraux demande à Marc Chagall (qu’il admire de longue date et connait depuis trente ans) de réaliser un nouveau plafond. Chagall, qui se méfie des commandes, réalisera des esquisses et maquettes avant d’accepter finalement ce défi (bénévolement), à la fois par amitié pour André Malraux et pour rendre hommage aux grands compositeurs qui font vivre la scène de l’Opéra Garnier.

La commande est officialisée en 1962... et donne rapidement lieu à une déferlante de critiques dans la presse. On stigmatise la « modernité artificielle » et le caractère anachronique de cette réécriture du plafond de l’Opéra Garnier, dont la version originale de Jules Lenepveu (Les Muses et les Heures du jour et de la nuit, une représentation spectaculaire et mythologique de l’art mettant en scène les muses qui inspirent les auteurs) s’intègre parfaitement au cadre et à l’architecture du bâtiment, sans distraire le spectateur des représentations données sur scène.
L’œuvre de Chagall doit néanmoins faire souffler un vent nouveau sur l’opéra – jugé « poussiéreux » et qu’il faut « bousculer ». Le plafond de Chagall prend alors une dimension très politique : Malraux pose les bases du rôle d’un ministre des affaires culturelles et considère l’art comme un moyen de contribuer au rayonnement international de la France. Mais à l’heure où la Palais Garnier coûte très cher et où l’établissement est le théâtre de mouvements sociaux, le plafond de Chagall sera le symbole de la politique lyrique du ministre – au risque de heurter certains conservatismes.
Face aux critiques, Malraux tient bon mais consent à quelques concessions : le plafond original de Lenepveu sera conservé et l’œuvre de Chagall réalisée sur une toile amovible de quelque 240m² tendue par-dessus. Néanmoins, la virulence des attaques oblige le peintre à réaliser son œuvre en secret, dans les ateliers des Gobelins, avant d’être assemblé à Meudon sous protection militaire.

Le 23 septembre 1964, on inaugure alors l’œuvre du peintre biélorusse dans la grande salle du Palais Garnier, dévoilant douze panneaux et un panneau circulaire central montés sur toile. Chagall y rend hommage aux grands noms de la musique et met en scène quatorze compositeurs de toutes les époques, évoquant, dans un déluge de couleurs déjà « surréalistes », autant l’opéra que le ballet, mais aussi les monuments emblématiques de la capitale (la Tour Eiffel, la place de la Concorde) et ses hauts lieux musicaux (l’Opéra Garnier lui-même) ou encore André Malraux en personne qu’on devine derrière une fenêtre. Le plafond de Chagall se veut alors une « circulation allégorique », une représentation « des rêves et des créations des acteurs et des musiciens ».
Aujourd’hui, le plafond de Marc Chagall est toujours au cœur d’une querelle opposant modernes et classiques, mais force est de constater qu'au delà des considérations artistiques, l’objectif (politique) d’André Malraux de replacer le Palais Garnier au cœur de l’actualité et de bousculer l’opéra est atteint.

Voir aussi le gigapixel du plafond de Marc Chagall

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