Roberto Alagna, Aleksandra Kurzak (et Artur Rucinski !) triomphent dans Luisa Miller à Monte-Carlo

Xl_xl_alagna-kurzak-liceu-2019 © DR

Chaque saison, après le spectacle d’ouverture (Samson et Dalila cette année) qui tombe immanquablement le 19 novembre, date de la fête nationale monégasque, l’Opéra de Monte-Carlo offre un ouvrage (en version de concert et pour une représentation souvent unique) issu du répertoire du belcanto romantique (I Puritani l'an passé, Maria Stuarda en 2016 etc.), et un jeune Verdi cette fois, Luisa Miller, dont l'écriture s'apparente encore aux règles du chant belcantiste. Souvent considéré comme un ouvrage initiant une période plus « intimiste » de Giuseppe Verdi, Luisa Miller – issu de Intrigue et amour de Schiller – n'est pas un opéra facile à interpréter. Cette difficulté tient essentiellement à la nature extrême des sentiments exprimés dans un contexte social qui ne s'y prête guère : Luisa est une paysanne trop naïve, son père un brave homme plutôt simple, Federica, une obscure duchesse peu scrupuleuse ; Rodolfo, lui-même, n'est qu'un fils à papa velléitaire, incapable d'utiliser les arguments de chantage dont il dispose. Mais voilà ! Verdi les a tous dotés d'une musique sublime...  

Jean-Louis Grinda a réuni une brochette de stars pour défendre cette partition plus ardue qu’il n’y paraît, à commencer par le célèbre couple lyrique (ou traumpaar comme on dit outre-rhin) Roberto Alagna / Aleksandra Kurzak dans les deux rôles principaux. Le premier nous régale de ses dons habituels : timbre gorgé de soleil, ligne de chant de toute beauté, diction souveraine, art suprême des nuances… Il délivre le sublime air « Quando le sere al placido » avec une vraie souffrance intérieure, sa prestation constituant ici le moment le plus fort de la soirée. Il faudra néanmoins tempérer cet enthousiasme à cause d’un registre aigu désormais problématique, celui-ci ayant souvent tendance à « blanchir » dans les notes forte, voire carrément à ployer sous l’effort... De son côté, après nous avoir transportés dans La Traviata à l’Opéra Bastille en octobre dernier, la soprano polonaise séduit à nouveau au plus haut point par la fraîcheur de sa voix égale sur tout le registre, maîtrisant sa partie sans avoir jamais à forcer, en imprégnant son chant d’infinis contrastes de coloration. A l’acte III, son superbe chant di grazia et ses messe di voci exercent tout leur pouvoir d'envoûtement sur une salle l'écoutant avec dévotion.

Mais à l’applaudimètre, c’est pourtant Artur Rucinski qui récolte les bravi les plus chaleureux. De fait, le baryton polonais possède toutes les qualités de baryton verdien que sont la chaleur du timbre, la beauté du phrasé et l'ampleur d'émission, et la moindre de ses interventions génère des tonnerres de vivats. Invité de dernière minute - c'est Adrian Sampetrean qui était prévu -, la basse helvético-ukrainienne Vitalij Kowaljow incarne le comte Walter à la perfection, et sa voix d'un beau métal apporte toute l'autorité nécessaire à ce personnage hautain et méprisant. La basse coréenne In-Sung Sim crée une surprise bienvenue avec son Wurm incisif, aux graves profonds et au sens dramatique imparable. Enfin, la russe Ekaterina Sergueïeva n’impressionne pas moins en Federica, avec son mezzo opulent et sonore, tandis que sa consœur italienne Antonella Colaianni prête à Laura une voix délicatement ambrée, déjà épanouie et riche de promesses.

En fosse, le vétéran italien Maurizio Benini, à la tête d’un Chœur et d’un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo magnifiques de précision et de nerf, apporte un surplus de cohérence à la somptueuse distribution dont il dispose. Son accompagnement confère à chaque épisode musical son juste poids de tension et de verve, et on ne pourra dès lors que lui être gré de rendre parfaitement justice à l’une des plus belles partitions du maître de Buseto.

Emmanuel Andrieu

Luisa Miller de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Monte-Carlo, le 15 décembre 2018

 

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