Chronique d'album : Venez chère ombre, d'Eva Zaïcik, Justin Taylor et Le Consort

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« Venez chère ombre… Venez… entrez dans un univers poétique, celui de la cantate française. Histoires funestes, récits tragiques dont le dénouement parfois heureux n’enlève rien à leur force dramatique. Ces tragédies chambristes nous immergent au cœur des passions intemporelles des émotions humaines : l’amour, la jalousie, l’infidélité, la tendresse, la vengeance, le désespoir… » Ainsi débute l’introduction de Justin Taylor dans le livret du disque d’Eva Zaïcik (élue Révélation lyrique des Victoires de la Musique Classique 2018 et lauréate cette même année du prestigieux concours Reine Elisabeth de Belgique), Venez chère ombre, auquel il participe en compagnie du Consort, et sorti à la fin du mois dernier chez Alpha Classics.

Ces quelques mots indiquent d’entrée de jeu le thème de l’enregistrement : la cantate française, qui ne voit le jour qu’au XVIIIe siècle et qui désigne un « petit poème fait pour être mis en musique, contenant le récit d’une action galante ou héroïque » selon l’Encyclopédie de Diderot et d’Alambert, comme le rappelle le livret. Les cantates de Clérambault, maître en la matière, et de Montéclair, autre compositeur important de ce genre musical, sont ici mis en regard avec des cantatilles (cantates courtes) inédites de Lefebvre, offrant de saisissantes peintures de caractère et de personnages qui, s’ils existent moins longtemps que dans un opéra, n’en demeurent pas moins intenses.

Le disque s’ouvre sur l’œuvre éponyme (et donc les mots du titre) de Lefebvre, Venez chère ombre, un peu comme une invitation à se glisser dans cet univers particulier, en moins de cinq minutes durant lesquelles toute la profondeur de la partition s’exprime. Elle est savamment portée par l’ensemble, bien que les nuances les plus importantes soient apportées par la voix d’Eva Zaïcik, formidable de tristesse digne, de tragédie et de puissance maîtrisée, en plus d’une prononciation irréprochable. En quelques minutes à peine, nous avons donc les principales caractéristiques de l’ensemble de l’enregistrement, dans lequel il faut également relever le très bel accord entre instruments et voix.

C’est ensuite au tour de Montéclair, de sa Bergère et de sa courte Plainte en dialogue (instrumentale) d'entrer en scène, d’abord très plaintifs, puis la musique apporte une certaine « légèreté » si l’on peut employer ce terme ici, avant de sombrer de nouveau dans une tonalité plus sombre durant le premier des deux titres. La beauté du second se passe de mots : il est parfaitement exécuté par les musiciens du Consort. Ariane de Philippe Courbois évoque un caractère inéluctable à l’écoute des premières notes dont la ligne mélodique se répète. Les paroles qui suivent, « Ne vous réveillez pas encore beaux yeux, vous ne verrez que trop tôt vos malheurs » font alors parfaitement écho à cette sensation et soulignent que le travail de la partition est ici particulièrement soigné, répondant parfaitement au texte. Une parenthèse s’ouvre ici, comme une suspension dans le temps : la ligne de chant de la mezzo-soprano épouse cette sensation. Nous somme ensuite extirpé de ce cocon suspendu par Le Lever de l’Aurore de Lefebvre, offrant à nos oreilles non pas le malheur annoncé précédemment mais un bref moment de calme avant que son Andromède et sa tragédie ne prennent la parole : « J’attendrai la mort sans la craindre ». Toutefois, c’est ici la détermination qui ressort, évidemment toujours tout en nuances, condensant de multiples sentiments intenses en peu de temps. Les rythmes changent comme les flots se déchaînent. Nous enchaînons ensuite avec Clérambault, dont Léandre et Hero se trouve entouré de la Simphonia Iva et d’un extrait de la Simphonia II La Félicté. L’histoire des deux amants permet une fin heureuse puisqu’après leurs morts, ils se retrouvent unis par Neptune, mêlant plainte amoureuse, fin tragique et heureuse. Le dépit généreux de Montéclair suit alors naturellement cette évolution observée depuis le début du disque, passant du plus sombre et de la grande tragédie de l’Amour à un amour plus heureux ou, ici, à la libération de cet amour tourmenteur :

« Je sens finir mes peines
La liberté triomphe dans mon cœur
Dieu des Amants je dois à ta rigueur,
La douceur de sortir de tes cruelles chaînes ».

Eva Zaïcik, Justin Taylor et Le Consort offrent ainsi un disque qui se révèle optimiste, évoluant de l’ombre à la lumière de subtile façon, faisant évoluer non pas une histoire recomposée mais des sentiments. Le programme est en cela fort bien pensé et servi par l’ensemble des jeunes artistes talentueux rassemblés ici. Quant au livret, il permet de suivre les paroles, bien entendu, et inclut des photos en plus des mots du claveciniste, et des biographies. Au final, voici une invitation qu'il serait dommage de décliner !

Un très beau disque, indispensable pour les amoureux de la cantate française, qui donnera lieu à un concert le 19 février à la Salle Cortot de Paris.

Elodie Martinez

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