Chronique d'album : Prologue de Francesca Aspromonte

Xl_prologue © DR

En octobre dernier, nous rencontrions la jeune soprano italienne Francesca Aspromonte à l’occasion de sa Zerlina dans Don Giovanni à Nancy. Ce mois-ci, la cantatrice sort un album chez Pentatone accompagnée par Il Pomo d’Oro (dirigé par Enrico Onofri) dans un registre puisé dans le répertoire du XVIIe, et plus précisément sur les prologues de cette époque, d’où le titre de cet album : Prologue.

Le prologue, c’est l’opéra avant l’opéra, la présentation, l’histoire à côté de l’histoire, « le début avant le commencement ». Il s'inscrit dans l’opéra, et pourtant, ce n’est pas vraiment dans l’opéra. Dans le livret, Francesca Aspromonte explique : « Le prologue ! C’est un univers plein de personnages allégoriques qui prennent grand plaisir à parler d’eux-mêmes, de leur histoire et de leur importance, utilisant le public presque comme un miroir pour s’auto-admirer. Ils sont d’un monde à part de l’histoire de l’opéra ; cependant, il ne peut commencer qu’après avoir quitté la scène ».

Situé après l'ouverture (ou sinfonia), le prologue est la première scène, rattachée ou non à l'action principale, servant d'introduction à un opéra. À l’époque baroque, la majorité des opéras comporte un prologue qui permet par exemple de transposer le livret dans l’actualité en comparant les exploits du héros à ceux du commanditaire ou dédicataire de l’œuvre. Au fil du temps, le prologue se développe, incorporant d'autres personnages allégoriques qui veillent sur le déroulement de l'action. Cependant, « en Italie, le prologue, après l'ouverture des théâtres publics, et l'éloignement de l'opéra des cours princières vers un nouveau centre (Venise), ne jouera plus son rôle glorificateur. Désormais, il se lie davantage à l'action. Par exemple, dans le prologue de l'Egisto (1643) de Cavalli, la Nuit, puis l'Aurore introduisant la scène initiale de l'acte I et la rencontre baignée de soleil des amants : Ecco l'alba, ecco Clori » (Larousse encyclopédique). En France, le prologue garde une vocation politique, comme sous l’ère de l'Académie royale de musique où il glorifie généralement le triomphe de l'amour et du pouvoir absolu de la monarchie sur toutes les adversités.

Ainsi, cet album présenté sous forme de coffret donne à entendre douze pistes qui font la part belle aux prologues du XVIIe siècle, ici réunis dans une certaine unité dramatique, à travers la succession de ces pages « comme si, ensemble, ils formaient une représentation en un seul acte, bien que le sujet de chacun soit différent » selon les termes employés par Enrico Onofri dans le livret. Partant de Monteverdi et de son Orfeo pour arriver à Scarlatti et « Cessate, oh fulmini » de Gli equivoci in amore, en passant par Caccini, Cavalli, Landi, Rossi, Cesti et Stradella en adaptant les prologues impliquant plusieurs personnages. Pour ce faire, ces parties ont été assignées à la cantatrice et les dialogues ont été exclus, ainsi que l’explique le chef d’orchestre, afin d’assurer au maximum l’unité souhaité. L’album est accompagné d’un riche livret quadrilingue (anglais, français, italien, allemand) parsemé de photos principalement de la cantatrice (mais aussi de l’ensemble et du chef), mais aussi d’un texte signé par Francesca Aspromonte, un autre par Enrico Onofri ainsi que d’un texte expliquant clairement et avec des exemples l’histoire du prologue. Sans oublier, bien sûr, les textes des airs interprétés.

Le résultat est une belle réussite ! On prend plaisir à écouter cette voix souple qui, à tout juste 23 ans, avait totalement envoûté le public d’Ambronay en 2014 avant d’être révélée notamment en Euridice dans l’Orfeo de Rossi à Nancy en 2016. La palette de couleurs, l’excellente technique et le naturel de sa voix transparaissent à nouveau dans cet enregistrement où tout son talent est mis au service de ce répertoire qu’elle connaît et maîtrise tant. La ligne de chant est toujours aussi claire et parvient à transmettre de véritables émotions qu’accompagnent avec brio l’ensemble Il Pomo d’Oro. Les nuances sont elles aussi claires sans être appuyées et c’est une interprétation lumineuse que nous offre la soprano italienne.

Un album solaire qui sait conserver une nécessaire part d'ombre, interprété par l’une des jeunes sopranos les plus talentueuses du moment, accompagnée par l’un des ensemble de référence dans la musique baroque. Un vrai plaisir !

Elodie Martinez

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