Don Carlo à l'Opéra National de Bordeaux

Xl_don_carlo © Frédéric Desmesure

Parmi les très nombreux opéras qui ont pour cadre l'Espagne, Don Carlos est sans doute l'un des plus représentatifs. Grâce au livret de François-Joseph Méry et Camille du Locle, inspiré de la tragédie de Schiller, Giuseppe Verdi brosse un portrait saisissant de la monarchie ibérique au temps de l'Inquisition et, dans cette œuvre forte, dense et riche, le souci de crédibilité historique est tellement poussé que, dans la version originale française du moins, le récit possède une clarté et une lisibilité refusées d'ordinaire au compositeur (quand il ne s'inspire pas de Shakespeare).
Dans l'édition italienne (Milan 1884) qui supprime l'acte de Fontainebleau – version retenue à Bordeaux -, le prélude à l'entrevue nocturne entre Eboli et Carlos, qui la courtise en la prenant pour la reine, et surtout l'irruption de la princesse dans la prison où Posa vient d'être assassiné, Don Carlo perd beaucoup de sa crédibilité. Et l'on peut regretter qu'en 2015 les maisons d'opéra hexagonales se montrent incapables de faire revivre cette vaste fresque historique, totalement ancrée dans leur culture, avec des artistes formés à leur goût, leur style et leurs règles.

Ce bémol posé, avouons sans détour que le spectacle bordelais est une vraie réussite.
Suite à la défection d'Alain Lombard, pour raisons de santé, le directeur musical de la maison Paul Daniel s'est finalement vu confier les rênes de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine, mais c'est son (très  talentueux) assistant Pierre Dumoussaud - lauréat des « Talents Chefs d'orchestre 2014 » de l'ADAMI - qui dirige ce soir. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le jeune chef français gère parfaitement la représentation, imposant une vraie cohérence entre fosse et plateau : sous sa direction, les forces de la phalange bordelaise, l'effectif choral et les solistes se livrent à une aventure exaltante, privilégiant le contexte émotionnel du spectacle.

Formidable Leporello (Don Giovanni) à Monte-Carlo et Dulcamara (Elisir d'amore) à Liège la saison passée, la basse roumaine Adrian Sâmpetrean emprunte au regretté Ghiaurov ses principes d'émission, sans qu'on s'en plaigne. De ce Philippe intensément blessé naissent des sonorités de bronze et tant d'harmoniques éblouissent chez un chanteur âgé d'à peine trente ans. Mais il n'est pas seul. Souvent acclamée in loco (récemment bouleversante Norma), Elza van den Heever compose une Elisabeth d'une délicatesse, d'une tendresse et d'une droiture admirables. Indubitablement, la voix de la soprano sud-africaine est l'une des plus chastes et des mieux conduites qu'on ait eu l'occasion d'entendre dans ce rôle.

Dans une autre perspective, Keri Alkema (qui lui donnait déjà la réplique dans Anna Bolena ici-même) propose une Eboli puissamment armée. La Chanson du voile demanderait peut-être un peu plus de présence vocale, mais dès le trio du jardin, le chant se libère et la cantatrice américaine atteint le summum de sa prestation avec le fameux « O Don fatale ». On admire aussi d'emblée le Posa de l'excellent baryton grec Tassis Christoyannis, inoubliable Macbeth in loco, et dont nous attendons avec impatience – toujours à Bordeaux - le Simon Boccanegra en janvier prochain. Artiste jusqu'au bout des ongles, il intervient sobrement, le legato superbement contrôlé et l'émotion intacte, surtout dans ses derniers instants.

Heureuse surprise que le ténor italien Leonardo Caimi – en remplacement de Carlo Ventre initialement annoncé – qui, malgré un timbre banal et une voix qui a tendance à « plafonner » dans l'aigu, possède le style requis. Autres figures essentielles, le Charles Quint de Patrick Bolleire, mais mieux encore l'Inquisiteur impressionnant de la basse chinoise Wenwei Zhang, pouvant rivaliser avec le Philippe de Sâmpetrean... c'est tout dire. L'on remarque encore les seconds plans comme la Voix céleste d'Anaïs Constans ou le Tebaldo de Rihab Chaieb.

S'il n'a jamais brillé par la pertinence de sa direction d'acteurs, Charles Roubaud est en revanche un admirable homme d'images. Avec sa scénographie minimaliste imposée par le lieu - le spectacle est donné à l'Auditorium et non au Grand-Théâtre (donc sans dégagements possibles) -, ses somptueux costumes d'époque (hors ceux du Chœur, placé dans le gradin arrière, en costumes de ville contemporains), ses superbes projections vidéos (nef et statues de la cathédrale de Valladolid, frondaisons de la forêt de Fontainebleau, prison stylisée de Carlo) signées par Virgile Koering, la mise en scène ne cherche pas à offrir autre chose qu'un écrin rassurant à la musique. Par les temps qui courent - et quelques jours après l'irritant Tannhäuser signé par Calixto Bieito à l'Opéra de Flandre -, c'est déjà beaucoup...

Emmanuel Andrieu

Don Carlo de Giuseppe Verdi à l'Opéra National de Bordeaux

Crédit photographique © Frédéric Desmesure

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