Don Giovanni dans le 9-3

Xl_dongiov-4lb © Cosimo Mirco Magliocca - Opéra national de Paris

Pour écouter Mozart on serait prêt à toutes les excentricités. Y compris traverser le périphérique un samedi soir pluvieux pour aller entendre et voir les solistes de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris à la Maison de la Culture de Bobigny. Il faut dire que les précédentes expériences avec ces jeunes chanteurs nous avaient plutôt séduits (notamment un très réjouissant Il Mondo della luna de Haydn en ces mêmes murs l’année dernière) et la perspective de les voir rajeunir le chef d’œuvre bicentenaire avait de quoi allécher – d’autant qu’on nous promettait une production fidèle au vent de liberté qui souffle sur le livret et une proposition très moderne.
Le lourd rideau se lève ici sur un espace ressemblant vaguement à une piscine désaffectée (qui aurait été transformée en hangar), avec pour seuls éléments de décors quelques chaises renversées, des portes, des mannequins et des escaliers en métal. Tandis que Leporello passe la serpillière et que l’orchestre s’accorde, un claveciniste en perruque poudrée prend place en fond de scène. Sa présence permanente tranche avec le reste du décor et tout au long de la représentation, il se fera autant commentateur qu’accompagnateur des récitatifs, soulignant les arrières pensées des personnages. Après avoir joué quelques notes de la Marche turque il déclame, sur fond de projections vidéo – aussi abstraites que sordides – une lettre de Mozart adressée à son librettiste Da Ponte, dans laquelle il exprime sa crainte de mourir bientôt. Ce prologue éclaire la veine macabre qui domine l’œuvre et justifie le parti pris du metteur en scène. En effet, ce dramma giocoso n’a plus rien de joyeux dans la lecture de Christophe Perton.
Si le décor est désespérément gris, les costumes sans intérêt et les figurants palots, la mise en scène ne manque pas d’intensité. Et ce Don Giovanni sent plus la mort que le stupre.

Ainsi tout au long de l’opéra, le débauché garde la blessure de son premier duel avec le Commandeur. Une marque sanglante qui renforce le caractère urgent du besoin de jouissance : une urgence vitale qui se fait particulièrement sentir dans l’air du champagne (Fin ch’han dal vino) chanté à bout de souffle et dans une précipitation volontairement exagérée.
Et dans sa course au plaisir, notre héros se fait ici plus violeur que séducteur – se masturbant frénétiquement sous les fenêtres d’une de ses cibles pour accompagner sa célèbre sérénade Deh vieni alla finestra.

Dans le rôle-titre, le baryton Michal Partyka, déjà remarqué dans de précédentes productions, assume avec beaucoup d’élégance un costume blanc et une chemise à jabot de séducteur italien. Et si sa partition est exigeante, il se montre à la hauteur du personnage. Le jeu est parfaitement juste, la voix bien placée et l’intention tragique appuyée pour coller à cette mise en scène.
À ses côtés, Pietro di Bianco campe un Leporello plus charmeur que bouffon. Avec une barbe et des bretelles de bobo, il habite le plateau de sa très belle présence et sublime ses airs de ces graves profonds qui font vibrer la poitrine de l’auditeur.
En épouse bafouée, la soprano Andreea Soare tient une Donna Elvira convaincante. Le timbre est beau et si sa voix semble plutôt taillée pour le bel canto, elle se sort avec beaucoup de panache du redoutableMi tradi quell’ alma (malgré un léger manque de fluidité, lié sans doute au trac de la première).
Parmi les autres victimes du serial séducteur, Donna Anna (la soprano Olga Seliverstova) est pleine d’allure. On peut déplorer peut être un petit manque d’engagement scénique, mais la partition semble écrite pour sa voix, le phrasé est idéal, les vocalises souples et l’émission des aigus parfaitement maîtrisée. Chez Zerline (Adriana Gonzalez), la voix est séduisante mais la timidité du jeu liée à un manque de projection rend le rôle encore plus discret qu’il n’est déjà. Son Masetto, quant à lui, (Damien Pass) est un bellâtre soigné – qui n’a rien du rural du livret – à la ligne vocale impeccable. Et le Commandeur, bien que discret dans cette mise en scène, est ici incarné par la basse Ugo Rabec, dont les graves venus d’outre-tombe font trembler les spectateurs.
Enfin, Oleksiy Palchykov, ténor au timbre brillant, fait du personnage plutôt fade de l’amoureux Don Ottavio, un rôle de premier plan, révélant une belle sensibilité mozartienne. Dans l’air Il mio tesoro au IIe acte notamment, les vocalises sont impeccables, la justesse infaillible et la puissance contrôlée.

Accompagnés par les jeunes musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato, sous la baguette avisée d’Alexandre Myrat, tous maîtrisent le raffinement du langage mozartien. Malgré quelques (rares) faussetés chez les cuivres, l’orchestre soutient l’ensemble avec mérite et, dès les premières notes de l’ouverture, le son est beau et rond au service d’une esthétique chambriste évidente.

Si la production s’avère un peu pauvre sur le plan visuel, la promesse d’une vision moderne de l’œuvre est tenue et un vent de jeunesse souffle bel et bien sur ce Don Giovanni aux allures pourtant morbides. Et la seule satisfaction d’entendre du Mozart si bien chanté suffit à ne pas faire regretter le déplacement !

Albina Belabiod

 

Don Giovanni de Mozart par les solistes de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, jusqu’au 31 mars 2014 au MC93 Bobigny (distribution en alternance)
(Une navette assure le retour à Paris à l’issue des représentations en soirée)

Crédit photo : Cosimo Mirco Magliocca - Opéra national de Paris.

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