Rencontre avec Nicolas Courjal

Xl_courjal © DR

Nicolas Courjal est indubitablement la basse française du moment. Après son triomphe dans La Damnation de Faust, qui clôturait le Festival Berlioz le 31 août dernier, nous le retrouvons à l'Opéra de Vichy où il chante - demain 19 et dimanche 21 - le rôle de Sarastro, dans La Flûte enchantée de Mozart. Trop longtemps cantonné dans des rôles secondaires, sa carrière a pris un formidable envol depuis quelque temps, et nous le retrouverons cette saison dans une version concertante de Moïse et Pharaon de Rossini à l'Opéra de Marseille (8-16/11), une production de Guillaume Tell (rôle de Gessler) à l'Opéra de Monte-Carlo (22-25/1), de Tristan und Isolde (rôle du Roi Marke) à l'Opéra de Bordeaux (26/3-7/4), avant de l'applaudir dans une autre (nouvelle) production de Guillaume Tell au Royal Opera House de Londres (29/6-17/7).

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Opera-Online : Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience au Jeune Théâtre Lyrique Français de l’Opéra-Comique où vous avez fait vos débuts ?

Nicolas Courjal : Que du bonheur ! C’était la première fois que je mettais les pieds sur les planches. J’avais 23 ans seulement mais Pierre Médecin avait décidé de me faire confiance et je lui en serai toujours reconnaissant. Il m’appelait le « bébé basse » ! Je prends la mesure de la chance que nous avons eu au JTLF, de participer à cette troupe qui nous a permis d’apprendre le métier, d’engranger de l’expérience, de nous mesurer aux nombreux défis de ce métier exigeant. Nous avions la saison entière à faire, au cœur de Paris, dans une salle mythique ! Nous étions tous de jeunes chanteurs et avons vécu des moments inoubliables, humainement et musicalement. Pour commencer dans le métier, c’était pas mal !

Le goût de la musique, de l’opéra en particulier, vous vient-il de votre famille ?

Mes parents m’ont mis moi et mon frère tout petits à la musique, au violon. Mais eux-mêmes n’avaient aucune affinité avec le monde musical. C’est ma professeur de violon qui les a encouragé à nous engager sérieusement dans cette voie. Maintenant je suis chanteur et mon frère altiste.

Vous souvenez vous du moment où vous avez su que vous entreprendriez une carrière de chanteur ?

Après mon premier cours de chant ! Je suis sorti de la salle et je me suis dit « Je veux être chanteur ! » sans savoir du tout ce que cela impliquait. Autant vous dire que autour de moi tout le monde rigolait doucement, j’étais introverti, timide, mal dans ma peau, avec une voix sûrement verte et plate. L’antithèse du chanteur d’opéra ! Mais j’avais eu un coup de foudre, j’avais trouvé mon instrument ; Je voulais vivre en chantant. De ce jour-là cet amour ne m’a jamais quitté.

Vous avez abordé un nombre important de rôles aux profils très différents. Comment définiriez-vous votre voix ?

Lorsque j’ai commencé à travailler ma voix, les professeurs voulaient souvent me faire chanter baryton-basse, ou même baryton. Un professeur en Allemagne s’était même amusé à me faire hurler des fa dièses aigus ou des sol à neuf heure du matin. Pour lui une basse c’était une voix sombre et caverneuse... Donc je n’étais pas basse ! Je n’ai jamais aimé ces stéréotypes, et j’ai toujours senti que j’étais basse, j’ai toujours essayé de chanter avec ma voix, et non de me construire une voix. Il y avait une tradition de voix de basse chantante à la française que, je trouve, nous avons un peu perdu, en voulant imiter les voix de basses à la russe ou à l’italienne. C’est tout le travail que j’ai essayé de faire avec ma professeur Jane Berbié : cultiver cette spécificité pour la mettre au service du répertoire français entre autre.

Quels sont les artistes qui vous ont marqué ou ont influencé votre travail ?

Beaucoup ! Surtout les « grands » avec qui j’ai partagé un moment sur scène et qui m’ont impressionnés par leur charisme et leur capacité à se donner  sur scène. C’est dur de se livrer entièrement et généreusement sur un plateau. Et c’est pourtant le but ultime pour nous. Je pense à Karita Mattila dans Arabella au Châtelet, ou, dans le même théâtre, Renée Fleming dans une version concertante de Thaïs, toutes les deux irradiantes ! Je pense aussi à Ermonela Jaho dans une Traviata, ou une Patrizia Ciofi dans une autre Traviata, toutes les deux tellement habitées, tellement présentes et généreuses. C’est ce que j’aime dans mon métier, lorsque l’on voit des artistes sur scène et non plus des chanteurs. C’est ce que j’aimerais un jour atteindre.

Vous allez bientôt interpréter – à Monte-Carlo et à Londres - le rôle de Gessler dans Guillaume Tell. Comment l’entendez-vous ?

J’ai abordé pour la première fois ce rôle en concert aux Prom’s avec l'Orchestre de Santa Cecilia sous la direction d'Antonio Pappano. Et cette année je vais enfin l’aborder sur scène, d’abord à Monte Carlo, et ensuite au Royal Opera House. C’est un rôle d’homme de pouvoir, un personnage noir, cruel, et je dois dire que c’est très excitant et intéressant de jouer ce genre de personnage - comme tous les « diables » d’ailleurs - car ce sont des personnages complexes, puissants, très contrastés, car manipulateurs. C’est quand même plus intéressant que de chanter l’amoureux transi, non ?

Etes-vous sensible à la critique ?

Comment peut-on ne pas y être sensible ? On passe des mois à préparer un rôle, à le travailler, à en chercher les clés d’interprétation. On s’investit à 200%, puis viennent les répétitions, puis enfin le spectacle où l’on donne le mieux de nous même. Il y a d’abord le retour immédiat du public qui - à mon sens - est primordial, puis le retour des critiques... On les lit car au fond, si l’on chante sur scène, c’est pour partager la musique avec tous. On les lit donc et, selon la critique, on est triste, blessé, heureux, fier... Puis on referme le journal - ou la page web - et on continue à travailler, à avancer, à progresser. C’est le long terme qui doit nous guider. La critique n’est qu’un moment  X.

Quelle place réservez-vous au récital et à la mélodie ?

Pas assez ! Lorsque j’étais en Allemagne j’en faisais plus, je faisais équipe avec une pianiste et on préparait des Liederabend. Puis l’opéra m’a happé…  Mais cette année Raymond Duffaut m’a proposé un récital aux Chorégies d’Orange, j’espère le premier d’une longue série ! Le récital, c’est notre musique de chambre à nous, les chanteurs. Et puis quel répertoire inépuisable ! De la musique souvent plus intimiste, des textes plus poétiques, une exigence plus grande dans la recherche des couleurs et des nuances.

Quels conseils donneriez-vous à une jeune basse ?

De la patience ! Ne pas aborder les rôles trop tôt. Si on chante Sarastro ou Arkel à 25 ans, qu’est ce que l’on chantera ensuite ? La voix de basse est une voix qui mûrit lentement. On dit qu’elle est en pleine possession de ses moyens aux alentours de 40 ans…donc pendant 20 ans il faut attendre, chanter les petits et seconds rôles, tout en se préparant aux premiers dans sa salle de bain. La chance est que le monde de l’opéra fourmille de petits rôles abordables pour les jeunes basses. Et puis la patience, et c’est très important aussi,  c’est de ne pas se donner artificiellement le timbre d’une basse « mûre » lorsque, jeune, on travaille sa voix. Mais de le laisser se développer tout seul petit à petit. Bien sûr, ce n’est  pas facile car on a dans l’oreille tous ces grands chanteurs interprétant les grands airs, et on rêve de les chanter comme eux. Mais vieillir et assombrir artificiellement sa voix est la pire chose qu’une jeune basse puisse faire à mon sens. Donc Patience !

Que puis-je vous souhaiter ?

Encore 40 ans de musique, de scène et de partage !

Propos recueillis par Emmanuel Andrieu

Nicolas Courjal dans le rôle de Sarastro dans La Flûte enchantée de Mozart, à l'affiche de l'Opéra de Vichy, les 19 & 21 septembre 2014

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