Rencontre avec Anaïs Constans, lauréate du Concours Operalia 2014

Xl_anais-constans © James Desauvage

Chaque année depuis 1993, le concours Operalia se fixe pour mission de départager et mettre en lumière les grandes voix de demain parmi les jeunes talents d’aujourd’hui. Et si actuellement les concours de chant lyrique se multiplient au point que l’on s’interroge parfois sur leur pertinence, Operalia et son jury ambitionnent de contribuer à lancer concrètement les carrières de ses lauréats – Placido Domingo, le maître d’œuvre d’Operalia, y voit l’occasion « d’offrir à d’autres la même bonne fortune dont [il a lui]-même bénéficié ».
L’édition 2014 du concours se tenait le week-end dernier à Los Angeles et la jeune soprano française Anaïs Constans, dont nous remarquions les qualités vocales dès mai dernier à Toulouse, se classe parmi les lauréats aux côtés de la soprano américaine Rachelle Willis-Sorensen et du ténor guatémaltèque Mario Chang. Nous l’avons rencontrée, elle nous livre ses impressions sur cette expérience impressionnante et nous dévoile les coulisses d’Operalia. Interview.

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OOL : Pourquoi vous êtes-vous présentée à Operalia ?

Anaïs Constans : D’abord parce que c’est le plus prestigieux concours de chant au monde, ne serait-ce que par la personnalité de son fondateur et directeur, Placido Domingo. Mais, après avoir déjà été lauréate de plusieurs concours, j’hésitais, je n’étais pas sûre de me sentir prête, je tournais autour – et puis mon petit ami m’a poussée : ça a été le déclic décisif… et je me suis inscrite le 14 mars, la veille de la clôture des inscriptions !

OOL : Qu’avez-vous envoyé comme airs pour accompagner votre inscription ?

Anaïs Constans : J’ai envoyé l’air de Pamina de La Flûte enchantée de Mozart et celui de Nanetta du Falstaff de Verdi, deux airs qui me semblaient de nature à mettre en valeur les qualités de ma voix.

OOL : Et ensuite ?

Anaïs Constans : Ensuite… j’ai attendu ! D’abord fébrilement durant les premiers jours, puis un peu moins, me résignant en fait à n’être pas sélectionnée… Et puis deux mois plus tard, vers la mi-mai, j’ai reçu un mail à 8 heures du matin me félicitant en m’annonçant que j’étais sélectionnée pour le Concours Operalia 2014, qui allait se dérouler du 22 au 31 août à Los Angeles !

OOL : Mais aller à Los Angeles, ça coûte cher !

Anaïs Constans : En effet, et c’est là que ce concours est vraiment exceptionnel : car on m’a envoyé un billet d’avion aller-retour, mon hébergement a été assuré dans un hôtel de luxe de Los Angeles et j’ai même reçu un per diem pour mes frais divers de nourriture, transports ou autres ! C’est vraiment d’une générosité rare !

OOL : Racontez-moi votre installation à Los Angeles…

Anaïs Constans : Je suis arrivé un peu fatiguée par le voyage, marquée par le décalage horaire, et un peu oppressée par le trac qui montait. Mais, heureusement, on m’a fait arriver 48 heures avant les premières épreuves et j’ai pu ainsi récupérer, me promener un peu – mais pas trop parce que je voulais me concentrer sur mon travail, sur mes airs…

OOL : Quels airs avez-vous donc présentés pour les quarts de finale ?

Anaïs Constans : Cet air de Pamina de La Flûte enchantée de Mozart qui m’avait permis d’être sélectionnée. Et puis la valse de Musetta de La Bohème de Puccini. Et une zarzuela.

OOL : Comment s’est donc passée ce quart de finale ?

Anaïs Constans : Très bien pour moi : j’avais pu travailler avec le pianiste, régler ma voix, trouver les couleurs que j’aime mettre dans ces airs. J’avais le trac, bien sûr, mal au ventre mais aussi la certitude que j’allais faire le maximum pour exprimer l’intériorité de ces personnages – et pas seulement me contenter de faire du beau son.

OOL : Et ça a marché !

Anaïs Constans : Oui, mais après deux jours à se ronger les ongles, à essayer de se calmer pendant que le jury écoutait tous les concurrents !

OOL : Vous connaissiez les membres du jury ?

Anaïs Constans : Non, mais je savais qu’il y avait des personnalités qui pouvaient m’être utiles, devant lesquelles il était important pour moi d’être entendues, Peter Katona du Royal Opera de Londres, Pal Moe de l’Opéra de Munich, Jean-Louis Grinda de l’Opéra de Monte-Carlo (avec lequel j’ai pu un peu parler à la fin du Concours et qui s’est montré très bienveillant) – et bien sûr Placido Domingo !

OOL : Et donc, au bout de 48 heures d’attente, les résultats…

Anaïs Constans : Nous avions été convoqués au Foyer de l’Opéra de Los Angeles – où se déroulaient toutes les épreuves – à 22h : nous y étions toutes et tous bien sûr, fébriles… Nous avons attendu, attendu… et Placido Domingo est arrivé enfin, à 23h30, avec la liste de ceux qui étaient retenus pour la demi-finale. Et il a annoncé en premier une « french soprano »… J’étais la seule soprano française : c’était moi ! Première victoire, avec soudain une forte décompression, la fatigue : je suis rentrée à l’hôtel comme en apesanteur, j’ai dormi – et le lendemain matin, j’ai répété comme une folle mes deux airs pour la demi-finale, celui de Micaela de Carmen, « Je dis que rien ne m’épouvante » (et pourtant, là, justement, j’avais peur !...), et une nouvelle zarzuela. Et puis tout a été très vite : le soir même, c’était la demi-finale, je me suis donnée à fond – et là encore, Placido Domingo a annoncé mon nom pour la Finale ! Mon but était atteint : être finaliste d’Operalia, c’est formidable ! Je me suis rappelée tous les lauréats des précédentes années, Julie Fuchs l’an passé, que j’admire tellement, Sonya Yoncheva aussi en 2010 et plein d’autres depuis 20 ans, Inva Mula, Nina Stemme, José Cura, Ludovic Tézier, Joyce DiDonato, Rolando Villazon, Joseph Calleja, Kate Aldrich, Olga Peretyatko, toutes et tous devenus des stars : ça m’a impressionné et je me suis demandée si je ne rêvais pas ! Mais je n’ai pas eu trop le temps de me laisser aller car il a fallu que je me jette dans le travail pour la Finale : je n’avais que deux jours, dont une lecture au piano et une répétition avec l’orchestre (puisque la Finale, qui est un grand gala, est accompagnée par l’Orchestre de l’Opéra de Los Angeles placé sous la direction de Placido Domingo !). J’ai donc travaillé avec Placido Domingo, qui est un homme adorable, attentif à chacune et chacun, prêt à nous protéger, nous aider, nous éclairer durant ces répétitions : un vrai bonheur ! Et il est venu, le soir de la Finale, nous dire un petit mot à chacun !...

OOL : Qu’aviez-vous choisi pour cette Finale avec orchestre ?

Anaïs Constans : L’air de Guilietta de I Capuletti e i Montecchi de Bellini, un air où j’ai la possibilité de faire entendre à la fois une longueur de souffle, des inflexions, de l’expression intérieure : c’est l’air qui m’avait ouvert les portes du CNIPAL… Il m’a encore une fois porté chance ! Et puis j’avais choisi une zarzuela ardente. L’air d’opéra était au début, la zarzuela à la fin : je pouvais ainsi faire alterner sans dommage des ceux faces de mon expressivité lyrique. Le concours s’est donc déroulé, durant deux heures et demie – et ensuite, nous avons attendu la délibération du jury pendant une heure, chacun dans sa loge, avec de la fièvre bien sûr. Enfin la sonnerie a retenti : c’était le moment attendu et redouté !

OOL : Où étiez-vous pour cette proclamation des résultats ?

Anaïs Constans : Nous étions assis sur la scène, côté cour. Et Placido Domingo a parlé du concours. Puis il a remis le prix de la zarzuela. Et enfin les noms des lauréats. Et quand il a dit mon nom, pour le troisième prix, j’ai pris ma respiration et je me suis dirigée vers lui, en passant devant le jury qui était aligné sur la scène. Placido Domingo m’a félicitée, m’a remis une lyre en bronze dans un cube de résine, le trophée, et une enveloppe avec un chèque de 10 000$... Je suis restée muette !

OOL : Et maintenant ?

Anaïs Constans : A présent que je suis rentrée en France, que j’ai reçu tous les témoignages d’amitié de ma famille et de mes proches, de mon agent François Rousseau aussi, et de ma très chère professeur, Claudine Ducret, qui m’a fait éclore, je vais continuer à travailler : j’ai envie de scène, j’ai envie de chanter et de jouer. Tout continue ou plutôt tout commence !

OOL : A propos de commencements, comment se sont faits les vôtres ?

Anaïs Constans : Un peu par hasard ! Mes parents n’avaient aucun lien avec la musique : ma mère est factrice et mon père agriculteur ! Il a bien fait partie d’un groupe de rock quand il était jeune mais c’est loin de l’opéra ! Pourtant ma grande sœur faisait partie d’une chorale et j’ai voulu faire comme elle : c’est là que j’ai découvert le bonheur du chant. Plus tard, j’ai pu intégrer le Conservatoire de Montauban : c’est là que j’y ai fait cette rencontre essentielle, celle de Claudine Ducret, avec qui je travaille depuis 9 ans. Elle m’a appris tout ce que je suis – et son mari, le pianiste et chef de chant Jean-Marc Bouget – m’a aussi aidée : je leur dois beaucoup et ils savent que je les aime beaucoup. J’ai ensuite été admise au Conservatoire de Toulouse, j’ai de surcroît voulu faire une Licence de Musicologie, pour comprendre ce que je chante, pour ne pas être une chanteuse bête… J’ai aussi bénéficié de l’enseignement du CNIPAL – et tout cela m’a menée à Los Angeles. Mais à présent, je vais peut-être me présenter au Concours Montserrat-Caballé à Saragosse et surtout, j’espère que je vais pouvoir exprimer sur scène, dans l’interprétation des personnages, toute cette passion que j’ai en moi.

Propos recueillis par Alain Duault
Crédit photo : James Desauvage

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